Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 40.djvu/617

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tracteur indépendant ou en équilibre et arc-boutés sur leur propre moteur à grande vitesse, se succèdent pendant des milles et des milles, avec leurs dépôts souterrains de munitions, leurs ateliers et les baraquemens nécessaires pour leurs milliers de servans, tout cela dispersé ou en file derrière eux sur les pentes raides. Cachées dans l’ombre des fosses ou des dépressions, elles pointent vers le ciel, et quant à comprendre comment elles ont été amenées jusqu’ici pour être descendues là, c’est ce qui passe l’imagination. Elles mettent le nez dehors par de simples fentes dans le gazon vert et se tiennent en retrait des rebords et des avancées de terrain où aucune lumière ne peut trahir leur forme, ou bien elles ne font plus qu’un avec un tas de fumier derrière une étable. Elles se nichent dans l’épaisse végétation de la forêt comme des éléphans en plein midi ou, en quelque sorte, rampent accroupies sur leur ventre jusqu’aux bossoirs mêmes des crêtes qui dominent des mers de montagnes. Elles aussi, comme les autres en bas sur le front, attendent l’heure et l’ordre. Il n’y en a pas une douzaine parmi cette multitude qui desserrent les dents.

Quand nous eûmes grimpé jusqu’à un endroit désigné, le volet d’un poste d’observation s’ouvrit sur le tableau mouvant qui s’étendait à nos pieds. Nous vîmes l’Isonzo presque verticalement au-dessous de nous, et au loin sur le côté étaient les tranchées italiennes qui grimpaient péniblement de la rive à la crête des montagnes nues où vit l’infanterie qu’il faut ravitailler à la faveur de la nuit, tant que les Autrichiens n’auront pas été chassés des hauteurs d’où ils la dominent.

— C’est tout à fait comme lorsqu’on poursuit un voleur sur les toits. Vous pouvez le découvrir d’une cheminée d’usine, mais lui peut vous découvrir du clocher de la cathédrale, — et ainsi de suite.

— Et ces hommes en bas dans les tranchées ?...

— On a vue sur eux des deux côtés, c’est vrai ; mais nos canons les couvrent. Ainsi en est-il toujours dans notre guerre : la hauteur est tout.

L’officier ne dit rien de l’effroyable labeur qu’il a fallu accomplir avant qu’un homme ou un canon pût arriver à sa place : rien de la bataille qui avait été livrée dans la gorge en dessous, pour le passage de l’Isonzo, quand les tranchées italiennes s’agriffaient dans le sang et ouvraient à la scie leur sentier dans le roc ; à