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autrichiens en retraite. Partout ailleurs la colline de Podgora pourrait attirer l’attention ; mais vous auriez beau installer une demi-douzaine de Gibraltars parmi ce soulèvement de collines : dans un mois, le ruban lisse des routes italiennes les couvrirait, comme les vrilles de la vigne recouvrent des tas d’immondices.

Les seigneurs de la guerre, autour de Goritz, ce sont les monts de quatre à cinq mille pieds massés l’un derrière l’autre, et dont chaque angle, chaque plateau, chaque vallée offre ou masque la mort. Les montagnes sont un mauvais champ d’action pour les aéroplanes, parce que l’atterrissage y est partout difficile ; mais les appareils n’en viennent pas moins des deux côtés battre au-dessus d’elles, et les canons de la défense aérienne, qui rte sont pas impressionnans au grand air des plaines, emplissent les gorges de leur toux multipliée par l’écho, et qui ressemble plus au rugissement d’un lion qu’au tonnerre. L’ennemi vole haut, par-dessus les montagnes, et on le voit se détacher sur le bleu du ciel comme un petit tourbillon de cendres échappé d’un feu de joie. Il laisse tomber généreusement ses bombes, et le destin se charge du reste, soit que les unes, aveugles, éclatent sur la nudité du roc, sans autre mal qu’un long bourdonnement de la pierre fendue, soit qu’un bruit sinistre de bois, d’hommes et de mules fracassés proclame que la bombe est tombée cette fois au bon endroit.

Aussi bien, tout ce cadre a tant de charme, la lumière, le feuillage, les fleurs et les papillons confondus sur les revers gazonneux des vieilles tranchées jettent un tel défi aux ouvriers vivans de la mort, qu’il faut se faire violence pour s’interdire les digressions...

Nous poursuivons à pied notre escalade dans la Montagne de Boue, à travers des galeries et des contre-galeries, jusqu’à un poste d’observation discrètement dissimulé. Maintenant Goritz, rose, blanche et bleue, s’étend au-dessous de nous avec toute l’apparence de dormir, parmi ses marronniers en pleine floraison, au bord de l’Isonzo bavard. Elle est aux mains des Italiens, conquise après de furieux combats ; mais les canons ennemis, des montagnes qu’ils occupent, peuvent encore la bombarder à loisir. Les prochains mouvemens, nous explique l’officier, seraient destinés à nettoyer certaines hauteurs.

— Pouvez-vous voir nos tranchées qui montent vers eux en grimpant sous leurs menaces ?