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Nord. Ils gisent là comme dans une forge géante où les anneaux de la nouvelle Italie sont en train de se souder dans la fumée, les flammes et la chaleur, — la chaleur qui monte devant eux, des bancs de sable desséchés de la rivière, et celle qui rayonne de la chaîne desséchée derrière eux.

La route grimpe en serpentant parmi des tranchées vides, à travers des fils de fer rouillés qui s’enchevêtrent sur le sol avec un air de « herses faites pour dévider les corps des hommes comme de la soie, » — entre les monticules ordinaires de sacs de sable crevés, autour des fosses creusées pour les canons et dont les saisons en se succédant ont adouci les angles. On ne peut pas creuser de tranchées, pas plus qu’on ne peut trouver d’eau sur le Carso, car à une pelle de profondeur la pierre ingrate se change en roc revêche et il faut tout forer et faire sauter à la dynamite.

Pour le moment, le printemps ayant été humide, les pierres conservent une teinte verdâtre ; mais d’ailleurs aucune apparence de végétation sur ce roc brûlé par l’été. Comme si ce n’était pas assez de toute cette sauvagerie, les pentes nues et les sommets désolés sont parsemés d’innombrables fosses, quelques- unes merveilleusement dessinées par le diable pour y poster des mitrailleuses, d’autres pareilles à de petits cratères bons à loger des howitzers de onze pouces, s’ouvrant au fond par des crevasses dans des cavernes sèches où les régimens peuvent se cacher et se tenir à l’abri. J’ai sous les yeux une de ces excavations, utilisée contre les bombes par deux régimens autrichiens, non loin d’un petit groupe abandonné de murs intérieurs de maisons, tous gris d’argent, qui se penchent et se parlent tout bas dans l’air léger, comme des fantômes. C’est là tout ce qui reste d’un village maintes fois pris et repris. La seule chose qui y demeure vivante est une pompe à vapeur amenant l’eau par des tuyaux du haut des collines et la conduisant, sur des paliers de pierre, à travers la brume lointaine, jusqu’aux troupes altérées qui séjournent dans les tranchées sans eau.

— Il nous est arrivé ici même de mettre les Autrichiens en pleine déroute, et d’être arrêtés dans notre poursuite par le manque d’eau. Les hommes allèrent de l’avant jusqu’au moment où ils suffoquèrent dans la poussière. Maintenant, ces tuyaux les suivent.

Nous montons la route qui serpente sous les plus hauts