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humaine, bien nourrie, dressée, de corps et d’âme, pour l’action honnête, efficace, et la résistance à la fatigue.

On dirait des soldats de métier, des soldats qui viennent de faire la guerre, tant ils sont hâlés, bronzés par de longs mois d’exercices et de manœuvres, par les pluies, le vent, le soleil et les sueurs. Sous ce hâle, le sanguin de la complexion transparaît. Cela fait un ton magnifique, d’un rouge foncé de cuir, où le bleu septentrional des yeux semble plus lumineux et plus clair. J’avais vu déjà, chez des officiers anglais de l’Inde, ce contraste des froides prunelles du Nord et du teint brûlé par le soleil. Un air de force lente, latente, que semble aggraver la masse du harnachement : sacs, bissacs, bidons, fusils, gibecières, cartouchières, — tout cela fauve et massif comme la laine des longs manteaux.

Fusiliers irlandais et gallois, Borderers, Blackwatch, Scot-Greys : les voici déjà rangés en deux troupes sur le quai. Vigilans comme des chiens de berger, les sous-officiers aboient des ordres brefs : Shun ! Forrm ! Fours ! Par rangs de quatre, ils se forment, épaulent leurs fusils, et puis, massivement, s’ébranlent.

Ces deux longues colonnes apparues sur notre sol, c’est, visible, mesurable au mètre, l’un des accroissemens quotidiens de l’armée britannique en France, à la veille d’une grande offensive. Deux masses jaunes, rectilignes qui s’éloignent, confondues à la terre, pareilles à de la terre qui marcherait : deux mille hommes sortis de la terre anglaise, et qui viennent combattre pour la nôtre.


Sur la grand route française, à travers le pays du Nord, si lumineux et clair, aux rayons obliques du soir, l’auto anglais nous emporte, nous ne savons pas où, dans l’intérieur de ce vert Boulonnais. Fuite glissante, silencieuse (on perçoit le petit chant infini des alouettes), si rapide que l’on voit couler d’un mouvement continuel le plus lointain détail du paysage : petits arbres, villages, taches qui sont des boqueteaux à l’horizon. Passent de grandes ondulations rasées par le vent de mer, qui, derrière nous, s’^n vont tomber sur des grèves, en tranches verticales et blanches de falaises. Passent les plateaux boises, dont les lignes se chevauchent, disparaissent, à mesure