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soudainement avec eux, et, acceptant le défi, venait prendre sa place à nos côtés dans cette nouvelle croisade contre la nation satanique, plus barbare et plus inhumaine que l’Infidèle du moyen âge. En même temps, la Russie, impatiente, elle aussi, du joug germanique que faisait peser sur elle son gouvernement, et surtout sa bureaucratie, honteuse des trahisons qu’à son insu on lui avait fait commettre à l’égard des démocraties occidentales, la Russie renversait l’imprévoyante et faible dynastie qui n’avait pas su la conduire à la victoire, et, à travers mille fluctuations inévitables, et parfois inquiétantes, s’acheminait à un état politique et social qui devait, fatalement, la rapprocher encore de nous. Et ainsi, deux des plus grands événemens de l’histoire moderne venaient, à quelques jours de distance, comme se greffer sur le formidable conflit, sur cette guerre d’Apocalypse, et dans leurs communes origines, s’il est difficile de la définir exactement, on ne saurait méconnaître la secrète action de la France.

Car d’abord ni la Révolution russe, ni l’intervention américaine ne se seraient produites si la guerre avait moins duré. Et la guerre aurait moins duré si la France avait fléchi sous le terrible poids qui, depuis trois ans, pèse sur ses épaules. Il ne s’agit pas, bien entendu, de revendiquer pour la France seule l’apanage et l’honneur des sacrifices et de l’endurance. Les sacrifices qu’a faits la France à la cause du Droit sont, relativement, moins lourds que ceux qui ont été consentis par la Belgique et par la Serbie. Et sans la Belgique, sans l’Angleterre, sans la Russie, la victoire de la Marne était impossible. Mais, de toutes les grandes puissances alliées, ce n’en est pas moins la France qui, dans son sol et dans son sang, dans sa richesse aussi, a le plus souffert de la guerre. Si elle s’était dérobée à sa douloureuse destinée, si elle avait marchandé ses efforts, la victoire totale, définitive, qui est, aujourd’hui, de moins en moins douteuse, eût été impossible. Il aurait fallu se résigner à la paix boiteuse, à laquelle, depuis la Marne, l’Allemagne aspire. En résistant comme elle l’a fait, en prodiguant son or et la vie de ses enfans, la France a assuré à la cause commune l’immense bénéfice de la durée. Les Alliés ont pu se préparer à loisir aux luttes décisives. Surtout peut-être le sens profond de cette guerre, qu’on n’avait point perçu tout de suite, a pu se développer sans contrainte, se révéler aux esprits les