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qu’on négociait déjà dans son entourage. Mais on réussit du moins à faire avorter les belles promesses que les opérations militaires du printemps et de l’été nous avaient permis de concevoir. Broussiloff, — la rage dans le cœur, sans doute, — dut s’arrêter dans sa marche victorieuse. La Roumanie, mal préparée et abandonnée à elle-même, offerte en proie à des ennemis résolus et bien armés, voyait peu à peu son territoire envahi, sa capitale occupée, ses réserves de blé pillées. Le roi Constantin de Grèce nous trahissait au profit de « l’ennemi héréditaire » et mettait en péril notre armée de Salonique. Enfin, par une fâcheuse coïncidence, notre victoire de la Somme, interrompue par la mauvaise saison, ne donnait pas tous les résultats immédiats qu’on avait peut-être escomptés. A l’entrée d’un troisième hiver de guerre, il était difficile de se défendre d’un vague sentiment de malaise ou d’inquiétude. Irions-nous donc toujours de déception en déception, de demi-victoire en demi-victoire ? Et laisserions-nous toujours à des adversaires redoutables, étroitement unis par leurs crimes, habiles d’ailleurs à exploiter toutes nos divisions et toutes nos faiblesses, audacieux et sans scrupules, l’entière liberté de leurs initiatives ?

C’est ce moment-là qu’avec une incontestable habileté, l’Allemagne choisit pour nous faire ses premières ouvertures officielles de paix. Sentant bien qu’elle ne pourrait plus que décliner, qu’elle avait déjà atteint les limites extrêmes de ses forces réelles, consciente des innombrables difficultés intérieures et extérieures que lui ménageait le très prochain avenir, aux prises avec une crise économique et alimentaire dont nous saurons un jour toute la gravité, convaincue que la « carte de guerre » ne lui serait jamais plus aussi favorable, et qu’il y avait donc tout intérêt à liquider « honorablement » une opération dont les suites risquaient d’être infiniment désastreuses, elle entreprit de négocier. Elle éprouvait d’ailleurs le besoin de rassurer, ou de relever une opinion publique qui commençait à être bien inquiète et très lasse. Elle espérait, par cette attitude toute nouvelle, se concilier la faveur intéressée ou naïve de quelques neutres. Surtout, elle comptait sur la lâcheté ou la lassitude de ses adversaires pour les amener à une conversation, que faciliterait du reste la disparition récente de François-Joseph, et dont elle se promettait toute sorte d’avantages. Elle en fut pour ses frais de duplicité et d’insolence. On repoussa dédaigneusement