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III

Ces troupes auxquelles, vers le milieu de mars, en les félicitant et en les encourageant, le général Joffre disait : « Vous serez de ceux dont on dira : Ils ont barré la route de Verdun, » elles ont longtemps ignoré, — et leur mérite en est d’autant plus grand, — la raison dernière de leur long effort. Il ne s’agissait pas seulement pour elles de sauver Verdun, — la perte de Verdun, matériellement, sinon moralement, n’aurait pas été irréparable, — il s’agissait de retenir devant ces vieilles murailles la plus grande partie de l’armée allemande, de paralyser ses autres initiatives, de lasser sa confiance, d’user et de détruire ses disponibilités et ses réserves, de permettre enfin à tous les Alliés d’achever, sans être inquiétés, tous leurs préparatifs pour les offensives prochaines. Ce résultat a été amplement atteint. Plus on y regardera de près, et plus on reconnaîtra que la défense de Verdun aura été le pivot de toutes les campagnes ultérieures, et qu’elle marque le tournant décisif de la guerre. Verdun aura été la dernière grande offensive qu’ait montée l’Allemagne contre un de ses principaux ennemis.

Et pendant qu’elle se brisait contre le mur inébranlable des poitrines françaises, à Paris même, sous la présidence de l’habile homme d’Etat français qui s’était donné pour tâche d’unifier son action, la Sainte-Alliance des peuples libres se resserrait, échangeait ses vues, se concertait pour les ripostes nécessaires ; et dans cette réunion tenue en pays envahi, à 280 kilomètres d’une frontière entamée et furieusement attaquée, il y avait, tout à la fois, un délicat et fier hommage d’admiration et de confiance rendu à la France, et, à l’adresse du brutal adversaire, une sorte de dédaigneuse ironie dont nous avons tous savouré la hautaine élégance. Quelque temps après, Galliéni mourait, et Paris faisait au grand soldat qui l’avait défendu « jusqu’au bout, » et sauvé du Barbare, de ces funérailles simples et grandioses, comme il sait en faire à ceux qu’il a beaucoup aimés : funérailles où la tristesse s’éclairait d’espérance et qui, hier plutôt qu’à une cérémonie funèbre, ressemblaient à un radieux cortège de victoire. Et en effet, il nous quittait au moment où la bataille de Verdun commençait à dégager ses victorieuses conséquences. Broussiloff déclenchait alors contre l’Autriche sa