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dont les évolutions semblent bien avoir été étudiées et prévues longtemps à l’avance, mais qu’il fallut organiser, développer et mettre en œuvre sous le feu de l’ennemi. On y parvint, — sous la direction de Castelnau, — et de manière à étonner non seulement les Anglais, mais les Allemands eux-mêmes, à force de sang-froid, de décision, d’ingéniosité, d’abnégation individuelle et collective. Transport de troupes, ravitaillement en vivres, en matériel et en munitions, évacuations des blessés, on put suffire à tout. Ce ne sont pas seulement les combattans qui donnèrent l’exemple du zèle et du sacrifice : conducteurs d’automobiles, « cheminots, » cuisiniers, infirmiers, brancardiers, médecins, aumôniers surent rivaliser d’élan, d’endurance et d’oubli de soi-même. Jusqu’en première ligne, par des chemins défoncés, sous des bombardemens effroyables, on vit arriver des convois sanitaires : de précieuses vies se risquaient sans hésiter pour en sauver d’autres, en apparence plus humbles. Entre les diverses armes, entre les divers services de l’avant et de l’arrière, sous l’action souveraine d’une pensée unique, — « les empêcher de passer, » — s’établissait la plus touchante des solidarités, et comme une circulation ininterrompue de vaillance, d’activité, de vivante fraternité. Les historiens de l’avenir diront peut-être — et ils auront raison de le dire — que la France, à Verdun, a touché le point culminant de son histoire morale.

Et avec les renforts, peu à peu affluait l’artillerie dont l’attaque allemande nous avait d’abord trouvés fâcheusement démunis. Peu à peu, à cet égard, l’équilibre s’établissait entre l’assaillant et la défense. Peu à peu, les poitrines de nos soldats sentaient qu’elles n’étaient plus presque seules à s’opposer à l’avance germanique. Nos artilleurs ont su reprendre, en la perfectionnant, la méthode adverse : à mesure que les mois s’écoulaient, les Allemands n’avaient plus le privilège exclusif de certains écrasemens d’artillerie lourde. Et je ne sais si, à ce point de vue, nous avons fini par conquérir la supériorité matérielle ; mais ce qui est certain, c’est que Douaumont et Vaux n’auraient pas été définitivement repris si nos obus et nos explosifs n’avaient pas largement frayé les voies à nos audacieux fantassins.

Une bataille ininterrompue de dix mois ; les pires dangers et les pires souffrances, çà et là illuminés des plus beaux rayons