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quotidienne de l’armée anglaise. Plusieurs fois par jour, arrivent de pareilles fournées humaines, — le plus pur, le plus frais et vivant de l’Angleterre, — qui vient entretenir ce brasier du Moloch où fond continûment, depuis bientôt trois ans, la substance active de l’Europe. Voici le commencement du cycle. Combien retourneront sur la couchette du navire-hôpital, et combien ne retourneront pas, mêlés pour toujours à cette terre française qu’ils regardent pour la première fois !

Maintenant ils se poussent, en flux terreux et continu, comme lorsque, d’un chaland, on décharge par des glissières du sable ou du minerai. C’est tout près de nous qu’ils mettent le pied sur le sol français, par deux et par trois à la fois, assez lentement pour que nous puissions percevoir chaque figure distincte. Et peu à peu, de tant d’individus qui se succèdent, de leurs nombres qui passent, naît en nous le sentiment du caractère commun et de l’espèce. C’est quelque chose de plus élémentaire et de plus uniforme que chez les nôtres, de plus vigoureusement régulier et déterminé dans les traits, de plus vague (uncouscious), aussi, dans le regard. Un journaliste anglais, à la devanture d’un café, regardant passer la foule parisienne, disait : « Une population de types ! » Ce qui le frappait en chaque visage, c’est le caractère singulier, le trait ou l’expression qui le fait différent de tous les autres. Ici, probablement, la monochromie du vêtement militaire est pour quelque chose dans notre impression, mais de tout temps, en arrivant en Angleterre, j’ai senti cette différence. Ce qui se traduit eu ces yeux limpides et ces traits énergiques, c’est à la fois la vigueur de la race et l’honnête simplicité des âmes. Ces jeunes hommes sont pareils comme de jeunes chevaux, aussi naturels et sains, leurs physionomies façonnées, non par les mouvemens de l’être cérébral et nerveux, mais par les influences de la coutume, toutes fortement accentuées, arrêtées dans le type général par la force des habitudes et certitudes ataviques et communes, parmi lesquelles il faut compter celles de la religion, — une religion qui parle surtout du devoir.

Beaucoup de figures heureuses, dont l’expression riante persiste dans le sérieux du moment. On sait leurs jeux, leurs chants, leur humour. Simplement, ils sont la belle créature