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le second hiver passé dans les tranchées s’annonçait assez sombre. Attaquée de toutes parts, l’armée serbe se repliait, cédait du terrain, et, n’ayant pu saisir la main que nous avions, trop tard, essayé de lui tendre, elle exécutait, à travers l’Albanie, cette désolante retraite qui pesa longtemps sur la générosité française comme un amer souvenir, et presque comme un remords. Nous n’étions pourtant qu’à moitié coupables. Si nous n’avions pas su prévoir la crise balkanique, si, divisés comme nous l’étions, entre nous et entre alliés, sur une question pourtant essentielle, nous n’avions pas su, au moment opportun, imposer notre volonté et prendre des décisions énergiques, nous avions cependant été les seuls à voler au secours de la pauvre Serbie ; c’est nous qui avons recueilli, transporté, nourri, soigné, sauvé les débris de son armée et de son peuple en fuite : c’est nous enfin qui sommes allés à Salonique, qui y sommes délibérément restés, qui en avons fait, avec l’appui de nos alliés enfin persuadés, la base d’importantes opérations ultérieures, l’instrument nécessaire des futures revanches. Ce fut là l’œuvre d’un homme que les circonstances ont porté chez nous au pouvoir, et qui pourrait bien apparaître un jour comme l’un des principaux hommes d’Etat de la coalition. Très bel orateur, à la voix grave, chaude et charmeuse, d’un sang-froid merveilleux et d’une grande souplesse dialectique, admirable manœuvrier parlementaire, homme d’intuition, d’initiative et d’avenir, politique très réaliste, auquel il ne manque peut-être qu’une capacité d’énergie plus continue, le nouveau Président du Conseil français, M. Briand, avait toutes les qualités requises pour concilier des intérêts divergens, unir des volontés, des mentalités différentes et les associer à une même entreprise. Il avait de plus l’art et le don de ces formules heureuses qui résument toute une situation, définissent un programme, servent de mot d’ordre et de signe de ralliement. Celle qu’il a mise en circulation, « réaliser l’unité d’action sur l’unité de front, » répondait à un besoin si général de l’opinion publique que, peu à peu traduite dans les faits, elle n’a pas peu contribué à rassurer les esprits inquiets, à leur faire attendre avec une sécurité patiente la suite des événemens militaires.

C’est alors que, sentant, en dépit de ses faciles victoires, de son rêve d’hégémonie orientale à moitié réalisé, le faisceau des