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leur étaient demandés. « Merveilleux ressort du soldat français ! Il retrouve instantanément le prodigieux état d’âme qui l’a soutenu pendant les héroïques journées de la bataille de la Marne, cette ardeur sacrée, cette espèce d’exaltation lucide qui a frappé tous les témoins d’une respectueuse admiration. Et il court à l’assaut, à la mort, à la gloire, avec cette facilité, cette ferveur d’abnégation qui fait les martyrs et les saints. Quand, dans l’après-midi du 26 septembre, Paris apprit qu’en Champagne, sur un front de vingt-cinq kilomètres et sur une profondeur variant de un à quatre kilomètres, de formidables positions allemandes avaient été prises et gardées, que plus de 12 000 prisonniers étaient tombés entre nos mains, avec de nombreux canons et un important matériel de guerre, un grand frisson d’espoir secoua tous les cœurs. Frisson d’espoir, et de fierté aussi, quand on connut tous les traits d’héroïsme dont ce succès fut la résultante. Tel ce légendaire Marchand qui avait dit, devant ses troupes, à l’un de ses chefs qui les visitait : « Mon général, le jour de l’attaque, nous atteindrons la ferme Navarin en une heure, » et qui fit comme il l’avait dit, allant en tête de sa division, la canne à la main, la pipe à la bouche, proie vivante et souriante toute désignée à la mitraille qui l’abattit. Et combien d’autres ! Hélas ! cette fois encore, si ce fut bien une victoire, ce ne fut pas la victoire, la victoire décisive, libératrice, que beaucoup espéraient. Dans la guerre moderne, la vaillance individuelle et collective, l’habileté stratégique, le nombre même, ne suffisent pas ; il y faut encore un certain ensemble de conditions atmosphériques, il y faut l’abondance inépuisable et la puissance du matériel. Sur ce dernier point notamment, nous n’avions pas encore entièrement réparé les lacunes initiales de notre préparation militaire, nous demeurions encore inférieurs à nos adversaires. Les résultats obtenus étaient d’autant plus méritoires : 140 000 hommes hors de combat, 25 000 prisonniers, 330 officiers, 150 canons, un matériel considérable, tel était le bilan de huit jours d’une lutte acharnée : le général Joffre pouvait se dire « fier de commander aux troupes les plus belles que la France eût jamais connues. »

Notre victoire de Champagne et d’Artois n’avait pas été assez complète pour modifier sérieusement la situation générale. Les événemens, en Orient, allaient suivre leur cours trop prévu, et