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leur en forge de nouvelles, et elles les attendent patiemment pour courir à l’assaut. « Long, dur, sûr, » avait dit un des plus beaux hommes de guerre qu’ait mis en lumière la bataille de la Marne, le général Foch : c’est la devise même, stoïque et tenace, de l’armée française tout entière.

Par les permissionnaires, par les lettres du front, cet état d’esprit s’est propagé à l’arrière. Rien n’est plus réconfortant que d’entendre parler ces soldats, improvisés pour la plupart, que la vie d’action a si fortement trempés, que le génie militaire de leur race a si complètement ressaisis, et qui ne doutent point de la sûre et lente victoire.


Il n’y a pas que les soldats qui fassent la guerre, — écrit l’un d’eux à sa grand’mère. — Vous aussi, les mères, les grand’mères, les épouses, vous la faites ! car, vous aussi, vous souffrez dans vos affections ; car, vous aussi, vous vivez dans l’angoisse, dans la solitude, dans l’incertitude du lendemain. Vous toutes, ô femmes de France, vous souffrez et vous faites la guerre avec nous. Vos armes, ce sont vos mains qui tricotent ou qui préparent des pansemens, ce sont vos lèvres qui prient, ce sont vos cœurs qui crient courage aux soldats. Et votre devoir, c’est, comme la sentinelle qui veille les pieds dans l’eau ou fond de la tranchée, de tenir aussi et de garder tout votre courage. Et votre gloire, elle viendra comme viendra la nôtre, après la souffrance et les jours de tristesse, et elle sera aussi grande que la nôtre [1].


Comment ne pas se laisser convaincre par ces enfans héroïques ? Partager leur foi, c’est se montrer dignes d’eux. Et en effet, malgré toutes les raisons que l’on pouvait avoir de sentir quelque lassitude, de voir le présent et même l’avenir en sombre, on reste patient, confiant, et, comme ils disent, nos soldats, on « garde le sourire. » Une noble cérémonie patriotique, comme celle qui eut lieu le 14 juillet pour le transfert des cendres de Rouget de Liste aux Invalides, les éloquentes et fortes paroles qu’y prononça le Président de la République : il n’en faut pas plus pour ranimer les courages et pour tendre les volontés. « Il n’est pas un seul de nos soldats, a dit le Président, il n’est pas un seul citoyen, il n’est pas une seule femme de France qui ne comprenne clairement que tout

  1. Le lieutenant Jean Saleilles (1890-1913), Lettres de guerre, avec portrait, 1 vol. in-8 (non mis dans le commerce), Dijon, imprimerie Darantière, 1916, p. 60-61.