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surajoutant ici aux affirmations irraisonnées de notre instinct moral, va suggérer à tous les esprits la même conviction : ce que l’Allemagne, au moment de sa plus grande supériorité numérique et matérielle, n’a pu réaliser, elle ne pourra l’obtenir après de cuisans échecs, et quand les forces qu’elle veut combattre iront croissant à leur tour. Pour venir à bout d’elle, nous n’avons plus qu’à ne pas être inférieurs à nous-mêmes ; nous n’avons plus qu’à tenir.

Et l’on tient en effet. On tient en dépit des mauvaises nouvelles, ou de l’absence de nouvelles. On tient, parce qu’il faut tenir. L’armée, d’abord, qui voit de près les difficultés de la tâche à accomplir, est tout entière animée de cet esprit de sacrifice, de ce stoïcisme grave qui sont peut-être les qualités les plus vraiment foncières de la race. Jamais elle n’a été plus unie, plus disciplinée. Jamais les divers élémens qui la composent n’ont été plus intimement fondus. Une année de guerre, — et de quelle guerre ! — mille dangers affrontés en commun, les privations, les fatigues, les misères de la vie en campagne courageusement supportées, toutes les classes sociales, toutes les professions, tous les âges mêlés : voilà qui a plus fait pour constituer la véritable «  nation armée » que toutes les théories élaborées, pendant la paix, dans les officines parlementaires. La tranchée est une rude, mais salutaire école d’égalité, de solidarité et d’unité nationales. Les rapports entre les hommes, entre les soldats et les chefs y deviennent plus intimes, plus simples, plus directs ; la discipline, sans cesser d’être ferme, s’y fait plus paternelle. Au bout de quelques mois de cette vie, la fusion est si parfaite que le généralissime peut effacer les distinctions d’usage entre l’active et la réserve : il a désormais sous ses ordres, et dans sa main, une immense armée démocratique, endurcie, entraînée et confiante qui s’est peu à peu élaborée dans ce terrible creuset de la guerre d’aujourd’hui. Ces troupes ont leur armature morale constituée par les officiers survivans de l’active, et non moins autant par ces admirables officiers de réserve dont la guerre a révélé les hautes capacités d’initiative, d’intelligente adaptation, d’inépuisable dévouement. Elles ont foi dans leurs chefs, qu’elles ont vus à l’œuvre, et dont elles connaissent la science militaire, la bravoure, l’humanité. Elles savent que leurs armes ne valent pas encore, pour le nombre et la puissance, celles de l’ennemi ; mais elles savent aussi qu’on