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pécheur — et plus sûrement encore vous servirez les vôtres et celles de vos enfans que vous avez mission d’engager dans le chemin du ciel. Ainsi soit-il. »

Cet anathème fut écouté par les paroissiens de Metsys dans un profond silence qui recouvrait des sentimens très divers. Les jeunes filles baissèrent les yeux et leurs visages exprimèrent toutes les nuances de la confusion féminine. Les plus simples n’éprouvaient que le malaise mêlé d’intense curiosité qui agite un enfant devant qui l’on va fouetter un camarade. Les plus pieuses rougissaient douloureusement devant le mal entrevu. Mais celles qui avaient déjà connu ou deviné quelque chose de l’amour frissonnaient de penser que ce qui se passe de si mystérieux et de si poignant dans le secret du cœur et dans le sens profond et caché qui n’a pas de nom, pouvait éclater ainsi aux yeux de tous et prendre subitement ce visage d’infamie.

Parmi les hommes, quelques-uns avaient envie de rire, croisaient des regards gourmands et moqueurs. D’autres semblaient profondément contristés. Les mères serraient durement leurs lèvres et tournaient la tête pour envoyer de tous les côtés leurs signes d’approbation. Certes, elles blâmaient Gotton et, devant leurs filles, la traînaient dans la boue ; mais aussi elles se rappelaient leurs conseils de matrones : « Remariez-vous, Connixloo ; élever une fille à vous tout seul, vous n’y arriverez pas ! » La veuve qui l’avait attendu longtemps se rengorgeait aujourd’hui et redressait les épaules d’un air qui signifiait : « Si j’avais été là, ce ne serait pas arrivé. Je l’ai toujours dit que les hommes n’ont pas de bon sens. »

Toute la paroisse se mit à genoux quand le curé descendit de sa chaire et, dans le silence qui suivit, tandis qu’au bas de l’autel il revêtait ses ornemens avant d’entonner le Credo, on entendit des sanglots brefs : c’était Connixloo qui pleurait dans sa stalle de chantre, la tête entre les mains.


II

Luc Heemskerque avait acheté la petite maison de l’ancien forgeron de Meulebeke. Derrière la forge se trouvait une grande chambre, pavée de tuiles rouges où il mangeait et dormait avec Gotton. Du fond de cette chambre, un vieil escalier de chêne, tourné en colimaçon, conduisait à un grenier où des amas de