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— Cache-toi maintenant, et que tu aies au moins la peur, si tu n’as pas la honte !

Elle se redressa avec peine et le regarda droit en face d’un regard où il n’y avait ni peur ni honte ; puis elle se traîna vers sa chambre en s’appuyant au mur.

La nuit était devenue tout à fait noire. Ce soir-là, pour la première fois depuis celui où Jeanne Connixloo avait quitté ce monde, les paroissiens de Metsys éteignirent leurs feux sans avoir entendu carillonner l’Angelus.

Vers la fin de la nuit, Gotton qui avait dormi plusieurs heures se leva sans bruit et mit la tête à la petite fenêtre de sa chambre. Les champs d’orge qui s’étendaient de ce côté étaient noirs encore, mais l’horizon commençait à pâlir et il semblait que la nuit soulevât lentement de terre ses ailes obscures. En haut, le ciel était plein d’étoiles, des étoiles surgies aux heures désertes de la nuit et dont les figures ne sont pas familières. Gotton s’étonna de leur aspect insolite et elle éprouva quelque vague contentement de voir que ce ne seraient pas les vieilles étoiles de tous les soirs qui la regarderaient partir. Elle resta un moment la tête appuyée au montant de la fenêtre, rêvant à ce qu’elle allait faire. Elle entendait, tout près d’elle, les vaches qui dans la noire étable froissaient la paille et mugissaient indolemment. Le premier chant du coq strident et triste la fit sursauter et réveilla durement le nerf de l’action. Il n’y avait pas de temps à perdre. Avant deux heures, Connixloo serait levé pour l’Angelus du matin. Elle s’habilla, mit sur elle sa robe la plus neuve en se disant que, de longtemps peut-être, elle n’en aurait pas d’autre. Puis à tâtons, car elle aurait eu peur d’allumer une bougie, elle composa un petit paquet de hardes : quelques chemises, deux ou trois mouchoirs qu’elle noua dans un fichu. Elle prit ensuite ses sabots à la main et entr’ouvrit la porte de sa chambre. La largeur de la pièce d’entrée qui s’étendait devant elle et qu’il fallait maintenant traverser lui parut immense. Le profond silence et cette teinte grise qui commençait à se glisser à la surface des choses semblaient perfides et redoutables. Gotton saisie d’angoisse se retourna vers la fenêtre de sa chambre. Si elle pouvait ne pas traverser cette cuisine ! Mais non, la fenêtre était trop petite, il n’y avait pas à y penser. Alors, elle s’aventura, le cœur battant, parmi les obstacles invisibles, les fantômes du passé, les souvenirs de