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parole, ce demi-aveu qu’elle venait de prononcer : « Père, je t’aurais tout dit. » Avait-elle commis la faute qui ne se répare pas ? Était-il trop tard pour lui faire peur ? Ne restait-il qu’à la jeter dehors et à dévorer sa honte devant toute la paroisse ? Comme la veille, Connixloo eut peur. « Non, non, se dit-il, pas d’aveux, pas de confession, pas de paroles ! » Il craignait la ruse ou l’audace que cette fille simple saurait exercer comme les autres si seulement elle était amoureuse. Surtout il ne voulait pas entendre le verdict de déshonneur. « Il est encore temps d’empêcher le pire, pensait-il. Je peux briser net en lui montrant que je suis le maitre. »

Il voulait à toute force rester celui qui ordonne et qui châtie, et comme il tremblait cependant de ne plus l’être ! Comme il tremblait de s’entendre dire : « Ce qui est fait est fait ; tu ne peux plus rien empêcher ! » Non, encore une fois, il ne ferait pas de questions. C’était trop dangereux. Dans sa colère et dans l’agitation apeurée de ses pensées, il gardait avec une masculine simplicité sa foi en la violence. L’amour apparaissait à son esprit d’ascète rustique comme une tentation toute basse et toute brutale, toute corporelle et qui doit être brisée dans le corps. Dès qu’il eut avalé sa soupe, il passa dans l’arrière-chambre et revint avec un gourdin.

Gotton ce soir-là fut durement battue. Elle n’avait pas demandé grâce devant le châtiment ; elle ne s’était même pas étonnée que son corps, tout à l’heure enveloppé d’un regard idolâtre, dût subir à présent cette cruelle injure. Debout devant le foyer, le bras appuyé à la cheminée, elle pliait le dos sous les coups et le feu éclairait d’un reflet rouge son visage et ses cheveux. Connixloo frappait de toutes ses forces, soulageant sa rage. « Ribaude, ribaude ! » répétait-il entre ses dents, et sa respiration devenait courte. Elle, cependant, le corps criblé de douleurs éclatantes comme des éclairs entre-croisés, se sentit dans cet ouragan soudain allégée de son trouble. De plus en plus, elle se courbait et à mesure que son visage approchait des braises elle y voyait se dessiner une face au poil roux, aux pommettes enluminées, aux narines larges et tendues ; elle y voyait apparaître des yeux brûlans et généreux, les yeux de l’homme à qui elle appartiendrait.

Quand le sonneur eut les bras fatigués, il laissa tomber son bâton et dit :