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et l’on pouvait distinguer que ses cheveux étaient roux. Du côté de sa jambe la plus courte, il portait, suspendu dans sa main, quelque chose de brillant et qui semblait lourd. Cela avait l’air d’un paquet de faux ; en le remarquant, Connixloo fit réflexion que la première fenaison ne tarderait pas. Il s’arrêta un instant perplexe, inquiet, puis aussitôt se rassura : un boiteux ! Il aborda Gotton qui ne l’avait pas vu venir.

— Bon pâturage, ici, pour les vaches ?

Gotton retourna la tête sans marquer la surprise, mais elle avait le sang au visage.

— C’est toi, père ? L’herbe est bonne, oui ! et la journée est belle aussi !

Si Connixloo eût gardé un soupçon, il n’en eût rien dit à sa fille pour ne pas la mettre en défiance et la mieux surveiller. Mais, déjà soulagé, il lui demanda pour en avoir le cœur tout à fait net :

— Tu n’as parlé à personne ?

— Si, fit-elle.

— Tiens donc, et à qui ?

— Tu ne le connais pas. Un forgeron d’Iseghem qui passe quelquefois par ici.

— Et toi, donc, comment le connais-tu ?

— Il m’a parlé sur la route.

Il y eut un temps de silence. Gotton tricotait. D’une voix aigre, Connixloo reprit :

— Et il y a longtemps que tu as fait cette belle connaissance ?

— Quand j’ai moissonné à Iseghem l’été dernier, c’est lui qui m’a refait l’anneau de ma faux.

Connixloo se rappela le paquet de lames brillantes qu’il avait aperçu de loin. Il demanda :

— Était-ce lui qui s’en allait par la route quand je suis arrivé ?

— Peut-être.

— Il est boiteux ?

— Ça se peut bien ! dit-elle avec un accent irrité.

— Et pourquoi que tu n’as rien dit à ton père de cette connaissance-là ?

Gotton releva sur son père ses petits yeux scintillans et ne répondit pas.