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avec un clignotement des yeux confidentiel et comme une sorte de gourmandise les pèlerinages qu’il avait faits, les scapulaires dont il était muni. Puis il terrifiait l’assistance débonnaire en ajoutant avec un grand coup de poing sur la table : « Tout ça, mes amis, si vous avez sur la conscience un seul petit péché mortel pas confessé, ça vous passe dessus comme de l’eau sur un dos de canard ! »

Gotton grandissait et l’on admirait qu’elle fût si sage. À sept ans, elle commença de fréquenter l’école et y resta jusqu’à sa première communion. Après quoi, elle fut envoyée pour trois mois chez ses tantes de la ferme Maers qui lui apprirent à soigner les vaches, à les traire, à baratter la crème, à faire le beurre et différentes sortes de fromage frais. Elle s’initia joyeusement à tous ces travaux, en compagnie de petites cousines de son âge. Les rires de ces enfans l’agitaient et plus encore les baisers qu’elle les voyait continuellement recevoir de leurs mères. Possédée d’une étrange émotion, où un plaisir suraigu se mêlait de détresse, elle riait plus fort que les autres et se pendait à son tour au cou de la plus jeune de ses tantes, qui était douce et jolie et allaitait son dernier bébé. Elle se prit pour cette jeune femme d’une sorte de passion, la cherchant, la suivant partout des yeux et l’appelant tout haut la nuit dans ses rêves. À cause de cela, on la jugea singulière et l’on blâma derechef l’obstination de Connixloo.

Les trois mois écoulés, la petite Gotton, à peu près instruite dans les arts du laitage, quitta en pleurant une maison trop pleine, trop active et trop heureuse pour qu’on pensât à l’y regretter. Ce fut l’aînée de ses tantes qui la reconduisit à Metsys. Celle-ci souffla dans l’oreille de Connixloo en lui laissant la petite : « Elle est bien gentille ; mais elle vous donnera du fil à retordre ! »

Cependant Connixloo avait remis en état une petite étable longtemps inemployée qui se trouve à l’arrière de la maison, du côté où un petit potager se continue par des champs à perte de vue. Et il venait de mettre le plus clair de ses économies à l’achat de deux belles vaches, choisies au marché de Malines. En regardant les magnifiques bêtes rousses et blanches, fumantes dans le matin d’automne et battant de la queue l’énorme voûte surbaissée de leurs flancs, Gotton se sentit réconfortée. Son père lui dit qu’il faudrait les mener paître tous les jours