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des braises rouges par de subites cabrioles et des éclats de rire. Elle était jolie et sa solitude émouvait le cœur des femmes. Les excellentes visiteuses reprirent auprès du veuf l’œuvre de persuasion dans laquelle la grosse trivialité masculine avait échoué. « Elever une fille, lui disait-on, la gouverner, vous ne savez pas comme c’est difficile pour un homme ! Tout chantre que vous êtes, vous y perdrez votre latin, Connixloo ! » Il y avait en particulier dans le village une veuve sans enfans qui possédait un peu de bien et s’était figuré que Connixloo ne pouvait manquer de l’épouser. Plusieurs années durant, elle y compta, se disant qu’après tout il serait acceptable pour des secondes noces, pas gai, mais fidèle, et du reste bien de sa personne avec son nez mince et sa barbe noire. Elle allait chez lui plusieurs fois la semaine et passa bien des nuits à préparer sa résignation digne, mais empressée, à un mariage qui ne lui fut jamais offert. Cette veuve et plusieurs autres femmes, par la suite, ne voulurent pas de bien à Connixloo ni à sa fille. A leurs exhortations, il répondait : « Bah ! le bâton deux ou trois fois l’an entretient les bonnes mœurs, surtout quand il y a aussi le bon exemple. » Les femmes rentraient chez elles en plaignant la petite.

Pour mieux donner le bon exemple et se préserver des tentations, Connixloo devenait de plus en plus dévot. Ses fonctions à l’église lui ménageaient avec l’Eternel une intimité toute particulière. Quand il parlait des choses de Dieu depuis le mystère de la Sainte-Trinité jusqu’à la dernière burette acquise par la paroisse, c’était avec le sérieux, la modestie orgueilleuse et les sous-entendus d’un serviteur privilégié. M. le curé lui avait fait don d’un catéchisme fort développé du diocèse de Malines. Il s’y instruisait, le soir, en revenant de sonner l’Angelus quand il avait fini son travail et couché la petite. Assis sur son lit et penché vers le lumignon, il scrutait les points difficiles de la doctrine et se heurtait péniblement à de savans vocables incompréhensibles. Pourtant, quelque lumière naissait par endroits de son étude et il en ressentait une joie sèche et silencieuse. Le dimanche, à la brasserie, il entretenait de théologie l’instituteur, le bourgmestre et quelques fermiers. Il avait des idées très nettes sur la distinction du péché mortel et du péché véniel, — et qui n’étaient pas rassurantes. Il parlait aussi, volontiers, des indulgences et vous énumérait