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vite que, dans sa niche de solitaire, le chantre de Metsys abrite une âme craintive, inégale et tourmentée.

Cet homme a été marié. A Metsys, ses contemporains se rappellent encore le beau festin de noces donné. — il y a de cela vingt-cinq ans bien comptés, — dans une ferme des environs d’où ils avaient ramené en cortège, à la lumière des lanternes, par une neigeuse nuit d’hiver, Jeanne Maers vers la maison de Connixloo. On n’avait pas vu, de mémoire d’homme, une plus belle fiancée. Deux ans après le mariage, on la portait en terre. Elle venait de donner le jour à une petite fille.

Resté veuf avant trente ans, Connixloo n’avait jamais voulu se remarier, malgré les conseils qui ne lui avaient pas fait défaut. Les hommes lui disaient à la brasserie :

— Vivre sans femme, Connixloo ? tu n’y penses pas ! Et ça ferait pourtant mauvais effet si on savait que le chantre de Metsys court les jupons !

Il répondait en citant l’apôtre saint Paul qui, disait-il, écrivit une épître pour recommander aux chrétiens de ne pas se marier s’il était possible, et au pis de se contenter d’une fois. Cette attitude étonna tellement qu’on se demanda si la belle Jeanne ne lui avait pas causé du chagrin. Car on oublie bien, pensaient ces hommes, une femme qu’on a perdue, mais non une femme qui vous a trompé.

La petite fille, qu’on appela Marguerite à son baptême et plus habituellement Gotton, fut mise en nourrice jusqu’à l’âge de trois ans chez les parens de sa mère. Puis Connixloo voulut la prendre chez lui ; il fabriqua pour elle un petit lit avec un édredon de plumes, il alla lui acheter à Malines deux poupées et, sans réfléchir qu’elle en avait passé l’âge, une douzaine de bavettes brodées. La grand’mère étant morte au cours de ces trois ans, il n’eut pas de peine à se faire rendre l’enfant par deux jeunes tantes en plein épanouissement de maternité.

Quand la petite Gotton fut installée à Metsys, elle attira quelques visites féminines chez le sévère Connixloo. On venait tantôt lui apporter un peu de fromage frais, tantôt, si l’on avait su qu’elle était malade, un remède contre le rhume ou la colique, tantôt on offrait de l’emmener jouer dans telle ou telle ferme où il y avait des petits enfans. On la trouvait trottinant autour du tabouret où son père était assis tirant l’alêne, ou bien accroupie devant la cheminée et interrompant la contemplation