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Dans les vieilles rues, où les soldats britanniques, le petit stick réglementaire en main, passent par deux et par trois, du même pas sonnant et cadencé, l’opposition se précisait. Deux mondes qui s’entre-pénètrent et restent distans. Deux espèces qui se touchent dans le même habitat, et ne semblent pas communiquer, dont chacune poursuit à part sa vie et sa pensée différentes.


Au tournant d’un quai, l’automobile a trouvé l’espace libre et l’horizon de mer. Entre la plage et la falaise que nous longeons, de plus en plus nous sentons se former autour de nous l’Angleterre. Des prairies, des pelouses, plutôt, dont le velours et le lustre attestent ce besoin et cette entente du fini que les Anglais apportent à toutes leurs œuvres matérielles. Là-dessus, un semis de pavillons de toile et de bois clair, tout neufs, dirait-on, posés comme des maisons-joujoux sur un tapis de billard. C’est un hôpital. La beauté du décor, ces belles nappes de verdure qui semblent appeler des jeux, la qualité de ces baraquemens — quelques-uns avec terrasses pour chaises longues, — tout cela fait penser à certains décors anglais de luxe et de plaisir, aux terrains de golf, avec leurs bengalows où l’on prend le thé, aux prairies d’Oxford, avec leurs club-houses au bord de la rivière, à des parcs seigneuriaux où l’on a vu des tentes se dresser pour une fête de charité.

Pendant une heure, nous visitons cet hôpital : on dirait qu’on se promène dans une exposition, et que tout y mérite le premier prix : les nurses, en linge éblouissant, rehaussé d’écarlate ; les majors, qui semblent sortir d’un magasin de Bond-Street, tant leur whip-cord est net et bien coupé, tant reluit le fauve de leurs bottes et courroies épaisses. On nous montre des dortoirs, cuisines, salles d’opérations, de bains, de jeux, de lecture : l’impression est toujours la même, — celle qu’éprouverait un voyageur en passant de son hôtel accoutumé dans un Palace. Toutes les choses matérielles sont ici de qualité supérieure, plus solides, plus massives et finies, faites de plus désirable matière. Partout le cuir est du cuir, la toile, de la toile ; les baignoires sont de vraies baignoires, avec des robinets d’eau chaude, en cuivre, et qui donnent véritablement de l’eau chaude. Le thé sucré, au lait, presque brun, dont on nous fait