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cigare, écoutant parler, l’œil vif, brillant, malin, parlant à son tour par formules brèves, pittoresques, saisissantes, sachant en quatre phrases faire éclater la vérité et faisant accepter toutes les vérités, — même les désagréables, au besoin par un amical coup de coude et surtout par une si évidente, si sincère, si communicative cordialité que, du jeune roi des Belges au vieux maréchal anglais, personne ne lui avait pu résister.

Lui jugeait, le 31 au soir, la situation sérieuse ; il ne la jugeait pas du tout désespérée. On était à Ypres : du diable s’il savait comment on avait été amené à faire de cette ville un de ces lieux sacrés qu’il faut, même en y engouffrant bataillons, régimens, divisions, sauver et garder. Ypres était cela cependant, comme plus tard sera Verdun. On ne devait à aucun prix abandonner Ypres, sans quoi les Allemands enivrés ne connaîtraient plus d’obstacles. D’ailleurs, si les inconvéniens du saillant lui apparaissaient aussi clairement qu’à French, il lui apparaissait aussi que, opéré sous la pression ennemie, le repli pourrait précisément y tourner au désastre.

Iil était allé voir d’Urbal à son poste de commandement de Vlamertinghe et le général Dubois l’y avait rejoint, venant d’Ypres, confirmer la perte de Gheluvelt qui achevait de briser le front anglais. Le maréchal French y arriva à son tour, plein de sa résolution de repli. Il y eut un débat émouvant dans sa cordialité. Comme enfin le maréchal, après avoir exprimé les plus nobles sentimens, paraissait disposé à se rendre aux instances de Foch, celui-ci, sur sa requête, griffonna sur un morceau de papier une note qui, je l’espère, sera un jour publiée, — recto et verso. — Car le maréchal la saisissant et l’ayant lue rapidement, se contenta de la contresigner au verso et, avec un beau mépris des mesquins amours-propres, l’envoya telle quelle au général Haig avec ordre d’exécuter.

Le général Haig était homme à comprendre toute résolution énergique ; aussi bien, avant même qu’il en eût reçu l’ordre formel, il avait commencé à réagir très fortement. Ordonnant de tenir à tout prix sur la ligne Fregenberg-Westhoek, il faisait canonner sévèrement l’ennemi et, soudain, jetait des bataillons à l’assaut de Gheluvelt. Le 2e régiment Worcestershire fut magnifique à cet assaut. Nos troupes ne le furent pas moins. Dans une lettre qui lui fait grand honneur, le général Haig signalait l’aide efficace que lui avait prêtée le 32e régiment