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Ni l’Australie, ni le Canada n’ont encore institué la conscription, mais cinq cent mille Canadiens se sont levés pour combattre l’Allemagne, et les Australiens, quittant la paix éternelle de leurs antipodes, continuent toujours de s’enrôler pour la guerre. Un empire qui ne se fonde pas sur la force militaire, mais sur le sentiment d’un lien spirituel et sur une certaine idée de liberté, un empire où le sentiment, agissant par les méthodes de la liberté, peut susciter la force militaire, — il n’est pas besoin d’être Anglais pour souhaiter au monde la durée d’un tel empire.


A X... nous trouvons l’officier qui nous reçoit avec cet élan de cordialité simple et de complaisance qui est la politesse anglaise. C’est le ton d’une réception de week end, dans une maison de campagne, aux environs de Londres. Les ordonnances enlèvent les bagages. A la nuance spéciale de leur respect, à leur tenue, à leurs brefs yes Sir, no Sir, on sent que la différence du chef aux hommes est moins celle du rang militaire que de la classe sociale, — on peut dire de la caste. Aussi bien, dans l’officier, d’allure si naturelle, facile (les Anglais disent : casual), on aperçoit le gentleman avant le militaire.

Nous traversons X... Etrange réunion des deux mondes, de cette France provinciale, avec ses maisons vétustes, son petit peuple bourgeois, ses femmes en bonnets, le cahin-caha de son trafic, tout ce que nous y aimons d’ancien et de somnolent, et de cette Angleterre qui, tout d’un coup, s’y est superposée. Une Angleterre plus uniforme et belle que celle d’outre-Manche, puisqu’elle en est l’essentielle substance, la force jeune et virile, efficacement disciplinée, organisée pour la guerre. Dès la porte de la gare, le contraste était surprenant : les antiques fiacres, les employés d’octroi, les flâneurs, les vieux commissionnaires, la marchande de journaux, les figures civiles et françaises, dont chacune dit d’abord l’individu distinct, — et cette file monochrome, massive et nette d’automobiles et camions anglais, ce peuple en khaki de jeunes hommes, à qui des influences incessantes et simples, certaines disciplines morales et physiques très insistantes, et puis les mois d’entraînement militaire, ont fait des cœurs, des regards et des rythmes de vie si pareils.