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loin, des portiques de gymnase avec des mannequins suspendus ; alentour, des pelotons qui, à plein élan, travaillent l’escrime à la baïonnette. Des cuisines fument. De splendides chevaux sont alignés au piquet. Et par-dessus le semis des petites tentes, de longs pavillons se lèvent, portant des écriteaux : Scottish Church Mission, — Church Home, — Salvation Army, — Y. M. C. A.[1], — Gordon Hut, — Walton Hut, — signalant des œuvres d’initiative privée, appliquées au réconfort, à l’hygiène des corps et des âmes, celles dont les enseignes, les annonces ont souvent frappé nos yeux dans les grandes cités industrielles d’Angleterre.

Au bas du talus, de lestes soldats essaient de suivre, en courant, le train. On leur jette des journaux : des figures se lèvent, toutes pareilles, pareillement et strictement rasées, jeunes, claires, saines, étonnamment roses, les traits en vigueur, les mêmes jeunes gens que l’on a vus, vêtus de blanc, lancer leurs balles de cricket sur les prairies vertes, autour de toutes les villes d’outre-Manche. Il y a aussi des Australiens, des Nouveaux-Zélandais, reconnaissables à leurs grands chapeaux de cowboys. Un officier qui voyage avec nous me désigne des hommes de l’Afrique du Sud, des Canadiens. Voici des Hindous, — hauts turbans sur des visages de bronze. Sur cette plage du Boulonnais, une émanation de tout l’empire britannique s’est trouvée soudain rassemblée. Je vois le meilleur, l’essentiel de l’empire anglais, le plus vivant de sa substance. Des hommes de Londres, de Bombay, de Melbourne, du Cap, de Winnipeg, — des hommes des cinq nations qu’a chantées Kipling, unis entre eux, unis à nous, dans la même volonté de combat et de sacrifice pour le droit et la liberté. Beaucoup voient pour la première fois le ciel d’Europe ; leurs yeux n’avaient connu que les étoiles de l’autre pôle. C’est la merveille de cet empire. Les « cinq nations, » des peuples séparés par les océans du globe, la plupart vraiment indépendans les uns des autres, dont les intérêts sont distincts, et parfois s’opposent ; — et à l’appel d’une idée de l’ordre sentimental, par l’élan spontané de chacun, cette réunion devant la menace à l’idéal commun et le danger de la vieille Angleterre. On pense à la façon dont l’Allemagne fait marcher ses Alsaciens-Lorrains et ses Polonais.

  1. Association des Jeunes Gens Chrétiens.