Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 40.djvu/507

Cette page a été validée par deux contributeurs.
503
L’ALSACE-LORRAINE À LA VEILLE DE LA DÉLIVRANCE.

Interdiction absolue est faite de parler français dans les rues. Un simple « bonjour » est puni de huit jours de prison. On mobilise des enfans de quinze ans pour travailler aux tranchées. Nulle part les réquisitions de vivres ne s’exercent avec plus de rigueur. Des milliers de dénationalisations ont lieu, afin de permettre au fisc de séquestrer les fortunes. Les Alsaciens-Lorrains, même les vieillards et les impotens, qui se sont réfugiés en Suisse, sont sommés de rentrer, sous peine de voir leurs biens confisqués ; car il s’agit bien d’une confiscation, les séquestres ayant l’ordre de vendre les valeurs et de les transformer d’office en titres des emprunts de guerre. Tous les trésors artistiques du pays sont transportés de l’autre côté du Rhin. Il en est de même du matériel des usines. C’est ainsi que les machines des importans établissemens métallurgiques de Mulhouse (ateliers de constructions mécaniques), sont envoyées à Munich. On brise et on transporte dans les usines de guerre toutes les cloches des églises. Il semble bien que la Prusse s’apprête à réaliser la menace de Guillaume II : « Si je suis contraint de restituer l’Alsace-Lorraine à la France, je la laisserai nue comme la main (kahl wie die Hand). »

Et devant tous ces criminels attentats, quelle est l’attitude des persécutés ? Ils se taisent ; mais ils se groupent aussi plus étroitement pour organiser la résistance passive. Toutes les querelles de partis ont disparu : les victimes de la barbarie allemande font bloc. La Strassburger Post le reconnaît. Même les jeunes hommes « à formation académique, » ceux qui ont tout à perdre d’un changement de nationalité, ne font plus aucun mystère de leurs sympathies françaises. La Gazette de Francfort proclame, elle aussi, la banqueroute complète de la germanisation. La Gazette populaire de Cologne, le grand organe catholique, accepte et demande même le démembrement du pays d’empire. La presse pangermaniste va plus loin : aucune répression ne sera jamais assez dure pour punir les révoltés qui, après quarante-six ans de servitude, relèvent encore la tête.

Avant l’ouverture de la dernière session du parlement alsacien-lorrain, le chancelier vient de Strasbourg. Il faut que les deux Chambres affirment leur attachement à l’Empire. Sudekum, le socialiste gouvernemental, accompagne M. de Bethmann-Hollweg. Il est chargé de « cuisiner » les onze députés de l’extrême-gauche. Les présidens des deux Assemblées,