Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 40.djvu/506

Cette page a été validée par deux contributeurs.
502
REVUE DES DEUX MONDES.

question d’Alsace-Lorraine devra trouver une solution définitive dans le partage des trois départemens et leur rattachement aux États voisins. De plus, une partie de la population devra être déportée de l’autre côté du Rhin. Enfin il faudra, pendant un certain nombre d’années, envoyer de force les enfans des provinces annexées dans les écoles d’outre-Rhin, afin de leur donner une éducation plus foncièrement patriotique.

Ces projets s’étalaient largement dans les feuilles de toutes nuances, même dans les journaux démocratiques, il y a quelques semaines à peine. Depuis qu’on parle d’un plébiscite, on n’y fait plus que de rares allusions ; mais les Alsaciens-Lorrains savent que le gouvernement impérial les reprendra, dès qu’il se croira en mesure de les réaliser.

N’ont-ils pas gardé le souvenir cuisant des odieuses persécutions auxquelles l’autorité militaire les a soumis, depuis le début des hostilités ? Déjà, au lendemain de l’affaire de Saverne, le préfet de police de Berlin écrivait dans une lettre rendue publique : « Les officiers en garnison dans le pays d’empire ont l’impression de camper en pays ennemi. » Nous trouvons la même formule dans un ordre du jour adressé aux troupes badoises, qui traversaient le Rhin, au mois d’août 1914 : « Vous entrez en pays ennemi (l’Alsace) et vous traiterez les habitans en conséquence. » Quelques mois plus tard, le général Gaede, s’adressant à ses troupes, à Kaysersberg, leur dit : « Le pays me plaît ; mais il faudra anéantir sa population (aber die Bevölkerung muss vernichtet werden). »

Au lendemain de la proclamation de l’état de guerre, un millier de paisibles citoyens sont, en Alsace-Lorraine, arrêtés, incarcérés, maltraités, transportés de l’autre côté du Rhin et internés dans des villes du centre et du nord. En deux ans, les conseils de guerre distribuent 3 000 années de prison aux annexés pour manifestation de sentimens francophiles. Le nombre des condamnés est parfois si considérable que les prisons sont trop petites pour les recevoir. Il faut attendre son tour pour purger sa peine dans ce que les indigènes appellent plaisamment : « l’hôtel de France. » Des exécutions capitales ont lieu après des jugemens sommaires.

Le village de Burzwiller et celui de Sewen sont incendiés.