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L’ALSACE-LORRAINE À LA VEILLE DE LA DÉLIVRANCE.

toute la région cisrhénane était gauloise. Argentoratum (Strasbourg), Noviamagus (Spire), Barbotomagus (Worms), Magentiacum (Mayence), Confluentes (Coblence), Colonia Agrippina (Cologne), Aquae (Aix), Colonia Augusta Trevirorum (Trêves), autant de villes dont les noms ou romains ou gaulois latinisés nous renseignent sur la nationalité de leurs fondateurs et de leurs premiers occupans. Si donc, nous voulions, à notre tour, user de l’argument historique, il nous serait facile d’affirmer les droits de la France sur des territoires qui déborderaient même de beaucoup les frontières de l’Alsace-Lorraine.

Durant tout le moyen âge les liens qui attachèrent nos provinces au Saint-Empire furent d’ailleurs très ténus et très lâches. L’Alsace, en particulier, n’était nullement un fief impérial. Strasbourg formait un État, Mulhouse était rattachée à la Suisse, dix villes libres, Colmar, Turckheim, Munster, Kaysersberg, Schlestadt, Obernai, Rixheim, Haguenau, Wissembourg, Landau, formaient une fédération à constitution républicaine. À côté de la Décapole et l’entourant, des seigneuries indépendantes, des abbayes à droits souverains, des bailliages dépendant du duc de Wurtemberg et de l’évêque de Bâle. Tous ces petits États payaient ou ne payaient pas de redevances à l’empire. Celui-ci, en revanche, protégeait fort mal un pays qui lui marquait si peu d’attachement. Ce fut précisément l’abandon de l’Alsace par les troupes impériales pendant la guerre de Trente Ans qui décida les habitans de notre province à solliciter l’intervention de la France. Dès 1635, Colmar, par le traité de Rueil, accepta ainsi de recevoir une garnison française, en échange de la protection que lui assuraient les Bourbons.

J’insisterai d’ailleurs particulièrement sur le fait suivant. Jusqu’à l’occupation de l’Alsace par la France, cette province, qui se composait d’une poussière d’États, n’avait pas, ne pouvait pas avoir conscience de la solidarité nationale de sa population. On n’y trouvait pas de patriotisme collectif. Divisées entre elles, guerroyant les unes contre les autres, les petites principautés qui la formaient n’étaient pas liées par un sentiment commun. Le patriotisme ne devait s’affirmer qu’après l’unification du pays sous une seule autorité souveraine. Or, c’est la France qui, lentement, mais avec méthode, procéda, pendant le siècle qui suivit le traité de Westphalie, à cette unification. C’est à la France qu’allèrent les premières manifestations