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communes, n’attendez pas que nos sentimens à votre égard se modifient. » Le raisonnement était inattaquable. Pour en détruire l’effet, les pangermanistes étaient obligés de ressasser constamment la vieille théorie bismarckienne de l’Alsace-Lorraine « glacis » ou « zone militaire de l’empire, » à la grande joie des protestataires de notre pays, qui prenaient acte de ces déclarations pour entretenir le mécontentement de leurs compatriotes. L’Allemagne était ainsi acculée par les autonomistes à un dilemme dont les deux termes étaient également dangereux pour elle : accorder aux annexés une indépendance dont elle prévoyait qu’ils abuseraient, s’obstiner à la leur refuser, et augmenter ainsi l’hostilité des provinces frontières. Toujours est-il que les autonomistes de la période allant de 1888 à 1914, n’acceptèrent jamais, dans leur ensemble, le fait accompli ; mais qu’ils se contentèrent d’en tenir compte, comme d’une nécessité inéluctable, pour édifier sur cette base fragile leurs revendications temporaires.

Une autre raison, celle-là plus sérieuse, les avait décidés à modifier le programme purement négatif des premiers protestataires. De gré ou de force, peu importe, nous appartenions à un organisme étatique, dont la législation intérieure exerçait une action directe sur nos intérêts matériels et moraux. Il ne pouvait pas nous être indifférent que notre industrie et notre agriculture fussent protégées, que les lois sociales s’améliorassent, qu’on élargît les libertés publiques. Nos électeurs, ouvriers, artisans, commerçans et industriels, avaient fini par exiger de leurs représentans que ceux-ci prissent une part plus active à l’élaboration des lois de l’empire et surtout de celles de l’Alsace-Lorraine. Et ce n’était que justice, car, si nous attendions toujours notre libération d’événemens lointains, il était de notre devoir d’accommoder à notre convenance la maison qu’on nous obligeait d’habiter.

Je me plais d’ailleurs à le reconnaître, nos revendications autonomistes devaient faciliter certaines abdications, dont quelques-unes allèrent jusqu’à la trahison complète. Tandis que, pour l’ensemble de notre population, l’autonomie ne représentait que la solution provisoire, l’expédient, la pierre d’attente, les ralliés tentèrent de la transformer en une formule définitive de leurs aspirations nationales. Des interviews retentissantes donnèrent, sur ce point, le change à l’étranger.