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L’ALSACE-LORRAINE À LA VEILLE DE LA DÉLIVRANCE.

maintenir ou de réparer l’injustice commise. Et c’est ainsi que la question d’Alsace-Lorraine, dont on ne parlait plus, mais à laquelle chacun pensait toujours, fut, depuis 1871, le pivot de toute l’activité diplomatique mondiale.

Les Allemands s’étaient d’ailleurs appliqués à sans cesse reposer l’angoissant problème par la brutalité de leurs procédés administratifs, dans les provinces annexées. L’énumération des mesures de rigueur, dont l’Alsace-Lorraine fut accablée, déborderait le cadre d’un article de revue. Nous ne pourrons que mentionner les principales : pouvoirs dictatoriaux des gouverneurs, expulsions, suppressions de journaux, passeports, refus de permis de séjour, interdiction de l’enseignement de la langue française, postes administratifs réservés aux immigrés allemands, application rigoureuse des ordonnances sur les cris et emblèmes séditieux. Il faudrait des volumes pour raconter le long et douloureux martyre d’une population, dont le seul crime était de ne pas vouloir subir l’emprise germanique et de ne pas consentir à renier un passé glorieux.

Or, parce que l’Allemagne abusait ainsi constamment de sa puissance, la plainte des annexés ne permettait pas à la France d’oublier l’injure faite à sa dignité et l’atteinte portée à sa richesse.

Le parti militaire prussien avait commis une autre erreur. Uniquement préoccupé de préparer les guerres de l’avenir, il avait exigé que l’Alsace-Lorraine formât, dans la confédération germanique, une province distincte des États et restât dès lors sous la tutelle presque exclusive de la grande monarchie du Nord. Bismarck exprimait fort bien cette préoccupation de l’état-major, quand il disait que l’Alsace-Lorraine était le « glacis, » la zone militaire de l’empire. Quand on veut exprimer un jugement motivé sur la politique allemande dans les provinces annexées, il faut toujours se rappeler ces paroles du chancelier de fer. Elles sont le leitmotiv de toute la législation barbare appliquée entre les Vosges et le Rhin depuis les incidens qui marquèrent, en 1872, le départ des optans, jusqu’à ceux qui, lors de l’affaire de Saverne, en 1913, révélèrent au monde surpris et l’odieuse tyrannie du militarisme prussien et la merveilleuse endurance de ses victimes.

Il eût été d’une politique habile que le Haut-Rhin fût annexé au grand-duché de Bade, le Bas-Rhin à la Bavière, la Lorraine