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se sacrifier. Salvière en est touché et revient à sa femme, tandis qu’Yvonne s’en va. Nous voilà assez loin de Brignol.

Ainsi l’un comme l’autre, M. Capus et M. Donnay ont à peu près renoncé à cet art léger et délicieux qui fut le leur pendant quelques années. Ils n’en ont pas perdu les qualités charmantes, mais de nouveaux soucis ont changé leur parole. On l’a bien vu depuis la guerre. Et en cela encore, ils ont été des images de ce génie français qui a l’air si frivole et dont on reconnaît soudain, avec surprise, que la frivolité est si sérieuse. M. Capus revenant à son état de journaliste a mis, depuis trois ans, chaque matin (le mot est de M. Donnay), « au service du patriotisme son bon sens devenu plus large et plus profond. » M. Donnay a composé ces tableaux délicieux, tendres, pittoresques, l’Impromptu du Paquetage, le Théâtre aux armées, les Lettres à une dame blanche. Il s’attendrit, ce qui fait qu’il raille un peu. Il voit le double caractère des choses, le sublime et le familier ; et il aime cette race de France d’être si familière et si simple dans le sublime. Il a touché là au point vrai. Tous ceux qui ont vu mourir nos soldats ont été étonnés de cette simplicité qu’ils avaient dans le moment suprême, tandis que, dans la tranchée d’en face, les Allemands sortaient en criant de l’univers germanique.

A la fin de son discours, M. Donnay a évoqué ces jours anxieux de 1914. où il était allé trouver M. Capus au Figaro pour avoir des nouvelles. « Là haut dans la Belgique violée, nos armées luttaient contre des bataillons innombrables et formidablement préparés. Nous nous taisions, le cœur serré. Vraiment, nous étions comme deux fils pendant qu’on opère leur mère. Elle est là-haut, dans la salle d’opérations... C’étaient des heures tragiques, la France pouvait succomber, et elle n’a pas succombé, pourtant ! Depuis, nous avons traversé bien des heures douloureuses, de glorieuses aussi, de désespérées jamais ! Notre mère ne mourra pas, monsieur, elle ne peut pas mourir. » On a acclamé ces paroles de foi. Elles répondaient à un sentiment profond, unanime, le même qu’on trouverait dans toute âme qu’on interrogerait, une confiance invincible qui est déjà la victoire. Retenons donc ces paroles pour l’histoire. Il faudra les redire quand on voudra connaître le sentiment commun après trois ans de guerre. Cette fois encore, M. Donnay a exprimé dans son langage exact, sensible et nuancé, ce que pensent tous les Français.


HENRY BIDOU.