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de l’École. Tout en haut, M. Whitney Warren est reconnaissable à ses traits réguliers, à son teint coloré, à ses cheveux rejetés. De l’autre côté du bureau, au rang d’en bas, M. Widor suit les discours sur sa partition, et rit de plaisir. Ses voisins font comme lui, et la foule des cinq académies s’élève jusqu’à un praticable, au-dessus duquel apparaissent encore des spectateurs, découpés sur un arc vide, comme dans les tableaux de Véronése. On aperçoit là-haut M. Messager.

M. Donnay reçoit M. Capus, qui siégera au fauteuil de Henri Poincaré En d’autres temps, cette réunion eût amusé l’esprit. Mais le 28 juin de l’an III de la guerre, elle a pris un sens. Dans cet étroit espace sont réunis quelques-uns des hommes qui rendent témoignage pour la France. Sous cette coupole comme au tribunal de l’histoire, ils forment une assemblée éloquente. Avec le vainqueur de la Marne est entrée la gloire des armes, fidèle à une race guerrière. Ces penseurs ont construit à l’esprit humain de nouveaux édifices. Ces romanciers sont lus du monde entier. Si divers, ces hommes sont parens. Ce soldat écoute ces écrivains au style ailé, et on se rappelle que les soldats des Gaules, qui étaient déjà une élite, formaient une troupe sous le vocable d’un oiseau qui chante, et qu’ils étaient la Légion de l’Alouette. Le public a de tout cela un sentiment vif et fort. Il écoute avec plus de plaisir, et il ressent les louanges comme son bien.


M. Capus se lève. Il y a un verre près de lui sur un petit lutrin noir. Le soleil illumine le papier qu’il tient, s’y reflète, éclaire le bas de son visage et fait briller son lorgnon. Il a un sourcil plus bas que l’autre, et recourbé en arc. Il parle très distinctement, d’une voix un peu lente, timbrée, grave, qui ouvre les voyelles. Il commence d’un bon ton de sermonnaire ; puis, quand il revient aux malices, il reprend sa voix à la Capus. Il parle très bien de Henri Poincaré.

Une séance de réception à l’Académie Française met en scène trois personnages : un mort et deux vivans. La séance du 28 juin a eu ce caractère que le mort était un illustre géomètre, à qui succédait un ancien élève de l’École des Mines, lequel était reçu par un ancien élève de l’École centrale. M. Capus et M. Donnay se sont étonnés, après H. Poincaré, et en termes excellens, que les hautes mathématiques ne fissent pas partie de l’éducation. Elles apprennent à mesurer les phénomènes continus. Or c’est par une variation continue et un progrès insensible que l’air s’échauffe et s’élève, que le vent s’accroît, que les rivières enflent leur cours et précipitent leur