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l’assaut définitif, que les Etats-Unis nous aient fourni, dans toute sa plénitude, le secours puissant qu’ils nous ont promis.

Et pourquoi cette hâte ? Pour une simple, mais forte raison, c’est que la guerre est le domaine de l’imprévu, cette guerre surtout où tant d’intérêts et de si essentiels sont en jeu, où les belligérans sentent qu’il s’agit pour eux d’être ou de ne pas être, où l’Allemagne, en particulier, acculée à une impasse dont elle ne peut sortir que par des miracles d’énergie, mettra tout en œuvre, avec le plus absolu défaut de scrupules, pour provoquer les incidens les plus extraordinaires, les plus inattendus, si elle les juge de nature à diminuer la force morale de ses adversaires. On comprendra sans doute que je n’en puisse ni veuille dire davantage. Que la révolution russe nous fasse enfin comprendre ce capital intérêt de nous hâter. Je pense qu’on ne marchandera pas à reconnaître que si, en 1915 et en 1916, nous avions pu lire dans le livre du destin qu’un si formidable et périlleux événement, — je ne me place qu’au point de vue militaire immédiat, bien entendu, — se produirait en mars 1917, nous aurions adopté une politique de guerre plus vigoureuse, ne fût-ce qu’au point de vue de l’étouffement économique de l’Allemagne, au point de vue de la Grèce et des affaires des Balkans, au point de vue des neutres du Nord et de l’utilisation de nos forces navales. Et peut-être la paix serait-elle conclue, aujourd’hui, à notre avantage...

Que convient-il donc de faire, sinon de tendre tous nos ressorts, de mettre en action toutes nos ressources, qu’il s’en faut que nous ayons toutes employées ; et puisque l’ennemi compte, pour se maintenir, sur celles qu’il sait tirer de ses conquêtes, de lui disputer ces malheureuses régions, ou de l’empêcher d’utiliser leurs produits en coupant certaines voies essentielles de communications ?

Le premier point à obtenir, dans cet ordre général d’idées, c’est que l’on reconnaisse enfin qu’il y a un front Nord, comme il y a un front Est, un front Ouest et un front Sud ; que ce front Nord a une importance économique et militaire de premier ordre ; qu’il est d’ailleurs le lieu d’élection de la mise en jeu rationnelle de la plus grande partie des forces navales considérables dont disposent les Alliés [1].

  1. Toutes défalcations faites en raison des pertes déjà subies et des déchets résultant d’une usure devenue irréparable après trois ans de guerre, on arrive aux totaux suivans pour les six grandes nations maritimes alliées, Angleterre, Amérique, France, Italie, Japon, Russie : 190 cuirassés, dreadnoughts et « croiseurs de combat ; » 73 croiseurs cuirassés ; 155 croiseurs protégés ou croiseurs cuirassés légers, 575 destroyers et grands torpilleurs. En ce qui touche les sous-marins, il est bon de garder le silence.
    Toujours est-il que si l’on compare ces chiffres formidables à ceux qui représentent les effectifs de nos adversaires, dans les mêmes catégories de bâtimens, soit, respectivement : 56, 8, 49, 234, on sent combien sont artificielles, circonstancielles et « politiques » les raisons de l’attitude purement défensive des forces navales de l’Entente. Ajoutons que les Alliés ont eu trois ans pour construire le matériel, relativement simple, du reste, de la guerre de côtes.