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Partout, dis-je... mais ne sera-ce pas surtout en Allemagne même, puisqu’en définitive c’est l’Allemagne qui souffre le plus ? Et par conséquent de ce côté-là ne conserverions-nous pas un avantage, un avantage relatif, tout au moins ?...

Je le crois ; je l’espère ; mais je voudrais en être plus certain. Je voudrais l’être, du moins que les émeutes de la faim, au fond assez bénignes, dont on nous entretient depuis deux ans, deviendront assez graves chez nos ennemis pour provoquer de sanglantes répressions et, par un inévitable retour, des insurrections véritables. Malheureusement, de tels espoirs ne viennent guère à l’esprit de qui connaît les Allemands, peuple essentiellement hiérarchisé, soumis craintivement à ses princes, à ses chefs militaires, — et en Prusse, surtout à la police, la terrible « polizei, » — troupeau docile, qui n’a que de brefs sursauts de colère quand il ne peut manger à sa faim. Que l’armée soit suffisamment nourrie, et elle le sera, cela seul importe aux dirigeans de l’Empire.

« Il faut que le public français, disait dernièrement un diplomate étranger qui vient de Berlin [1], soit persuadé qu’il ne doit pas s’attendre à une révolution, à un soulèvement quelconque provoqué chez le peuple allemand par un affaissement moral résultant de la faim et des privations. Il faudra l’abattre les armes à la main. »

Le diplomate dont je cite l’opinion ajoute d’ailleurs que tout s’effondrerait en Allemagne le jour où serait définitivement déçue la confiance en l’infaillibilité du grand état-major et en la capacité des gouvernans. u Le gouvernement allemand le sait et c’est pourquoi il trompe son peuple... »

Il ne le trompe pas complètement, toutefois, en lui promettant qu’il aura toujours de quoi se soutenir, sinon de satisfaire sa faim. Et il convient de répéter ici que si la prochaine récolte sera inférieure à la moyenne, en Allemagne, par suite de l’insuffisance de la main-d’œuvre et des engrais [2], elle sera, semble-t-il, assez belle en Autriche, belle en Hongrie, superbe en Valachie, satisfaisante dans les Balkans et en Asie-Mineure,

  1. M. de Aguero, ministre de la République Cubaine à Berlin (Interview donnée au Journal des Débats et publiée le 8 juin 1917).
  2. Il y a en Allemagne plus de 350 fabriques de nitrate artificiel, mais cet engrais ne vaut pas, à beaucoup près, les nitrates naturels du Chili qui n’arrivent plus, depuis deux ans et demi, dans les ports allemands. On estime que le rendement général à l’hectare a baissé de 25 pour 100.