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ouvriers, — qui s’efforcent d’obtenir les conditions les plus avantageuses en majorant les chiffres qui représenteraient les besoins réels des populations dont les intérêts leur sont confiés.

Ce n’est pas tout ! Que ces populations des neutres du Nord commencent à souffrir sérieusement des résultats des deux blocus combinés, c’est ce qui apparaît sans aucun doute possible. Or, ces souffrances vont être augmentées par les décisions nouvelles du gouvernement américain et le seront d’autant plus que ce gouvernement semble disposé à exiger que les cargos de ces neutres viennent chercher, eux-mêmes, les provisions qu’il consentira à leur céder après s’être bien assuré que rien n’en pourra être distrait pour l’Allemagne. Mais il est clair qu’à ce moment-là, la Wilhelmstrasse et l’Office naval changeront complètement d’attitude et que les torpillages recommenceront de plus belle. On sait que la diplomatie allemande n’a pas encore perdu l’espoir de persuader à ses victimes qu’elles sont, en réalité, les victimes des Alliés, les victimes de « l’odieuse Angleterre. » Pouvons-nous être absolument assurés que d’insidieux raisonnemens de ce genre n’auront jamais d’influence sur des peuples exaspérés par le besoin et constamment travaillés, comme on le voit assez depuis quelques semaines, par les agens de la « Sozialdemokratie » impériale ? La populace de Rotterdam ne vient-elle pas de piller les allèges où le gouvernement anglais emmagasine les denrées que, conformément à la « politique d’achats, » il acquiert en Hollande pour empêcher que les Allemands ne s’en emparent, mais qu’il ne peut pas faire immédiatement passer en Angleterre, faute de moyens de transport ? Les justes observations du journal socialiste hollandais Hetvolk, que je citais ici le 1er juin [1], n’ont pas eu le pouvoir d’arrêter des affamés qui voient des péniches pleines de pommes de terre et jugent tout naturel de les vider séance tenante. Et sans doute, il devait y avoir là bon nombre d’excitateurs allemands, bien plus encore que nous n’en avons eu chez nous au moment des grèves du début de juin ; mais justement n’est-ce pas à l’emploi de plus en plus marqué de ce moyen d’action qu’il faut s’attendre de la part de nos ennemis ? Cette longue guerre, qui change constamment de physionomie, va voir sa phase économique se compliquer partout de redoutables mouvemens populaires.

  1. Revue des Deux Mondes, du 1er juin 1917, déjà citée. (« Où en sont les deux blocus ? » page 670).