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accaparé toutes les denrées disponibles à n’importe quel prix [1]. Les stocks ainsi constitués ont pris peu à peu le chemin de la mer du Nord et de la Baltique, soit sur des cargos américains, soit sur des vapeurs neutres qui, les uns comme les autres, ont « miraculeusement » échappé aux coups des sous-marins allemands, tandis qu’un trop petit nombre d’entre eux se voyaient contraints de subir la visite dans les ports alliés de l’Atlantique, — visite de pure forme, souvent, puisque la destination des cargaisons est presque toujours parfaitement correcte en apparence [2].

Il n’est pas aisé d’évaluer ce que les empires du Centre, et l’Allemagne surtout, ont pu gagner à cette curée rapide et violente en durée de résistance ; mais il est certain que la soudure entre les deux récoltes de 1916 et de 1917 est assez bien assurée, et il est probable que des réserves ont pu être constituées.

Quoi qu’il en soit, pour avoir été peut-être un peu tardives, déjà, les mesures de contingentement rigoureux prises par M. Wilson n’en seront pas moins utiles dans l’avenir ; mais il faut observer ce point important, auquel je faisais allusion tout à l’heure, que les Alliés de l’Ouest de l’Europe ne peuvent compter sur le bénéfice des restrictions imposées aux Scandinaves et aux Hollandais, au sujet des denrées alimentaires, que dans la mesure où les denrées ainsi retenues seront jugées inutiles pour les cent millions d’habitans des Etats-Unis. Or, il y a là un inconnu préoccupant, car il est impossible de se dissimuler que la popularité de M. Wilson, la popularité de la guerre à l’Allemagne, si l’on veut, résisterait difficilement, chez les masses ouvrières de la grande République, aux épreuves de la « vie chère, » si ces épreuves, déjà sensibles, devenaient bientôt plus pénibles encore.

Enfin, autre inconnu : les quatre puissances intéressées dans cette affaire du contingentement ont envoyé à Washington des négociateurs habiles, — quelques-uns même choisis pour la faveur dont on suppose qu’ils jouiront auprès des syndicats

  1. M. Hoover, directeur de l’alimentation aux États-Unis, affirme qu’en un mois les spéculateurs américains ont gagné sur les grains et autres denrées 50 millions de dollars.
  2. N’oublions pas que, pour paralyser les efforts d’investigation des Alliés, les Neutres gardent pour leur consommation les denrées importées, mais vendent aux Allemands toutes les denrées analogues produites chez eux.