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Cette « horreur des derniers jours » n’apparaît nulle part plus poignante que dans l’état actuel de Chauny. Un simple procès-verbal de constat suffirait à peindre la dévastation de cette ville industrieuse et florissante qui, dans une situation commode et agréable, sur les deux rives de l’Oise, à la jonction de deux canaux, au pied d’une colline verdoyante et boisée, avait oublié ses malheurs d’autrefois, s’était relevée des ruines accumulées par les reitres et les lansquenets du XVIe siècle, au point de réclamer devant l’Assemblée nationale, en 1790, le titre de chef-lieu du département de l’Aisne, comme un privilège dû au chiffre de sa population non moins qu’aux avantages de sa situation naturelle et à l’ancienneté de sa maîtrise des eaux et forêts. Toutes sortes d’industries anciennes ou nouvelles, depuis la manufacture de glaces de Saint-Gobain jusqu’aux plus récentes exploitations des phosphates de chaux, avaient assuré la prospérité de Chauny et l’aisance de ses habitans. C’était un coin de France où l’on vivait heureux. A présent l’aspect de cette ville n’offre que des visions de choses écroulées, effondrées, anéanties, qui n’ont plus de forme, ni de couleur, ni de nom. Sous la formidable poussée des explosions, les murs se sont abîmés, pulvérisés, éparpillés en traînées de poussière et de cendre, en effondrements de gravats calcinés. Les ravages d’une éruption volcanique sont moins cruels que cette destruction exécutée par ordre.

De l’église Saint-Martin de Chauny rien ne subsiste, hormis quelques pans de murs déchiquetés. Les rues, dont le déblaiement occupe de nombreuses escouades de braves territoriaux, sont obstruées de décombres, ne traversent que des ruines et ne mènent qu’à des fondrières. Pour miner la ville de Chauny, les ingénieurs allemands avaient eu soin, deux mois à l’avance, de prendre la mesure des caves de toutes les maisons. Ils savaient