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des vivres pour vingt-quatre heures, les derniers habitans de sa ville, dépeuplée par plusieurs enlèvemens d’otages et de captives. Une proclamation du haut commandement allemand disait que les ponts de la Somme, le château de Ham, le beffroi allaient sauter, et que les explosions auraient lieu le dimanche de midi à quatre heures, après avoir été annoncées par des sonneries de clairons. La population anxieuse attendit toute la journée. Mais les clairons annonciateurs de la catastrophe ne sonnèrent point. Et, quand le soleil de ce triste jour se coucha dans un horizon d’orage, nul encore n’avait entendu les détonations prévues et prescrites par l’état-major de Hindenburg. La nuit vint. Personne n’avait l’esprit assez dispos ni le cœur assez apaisé pour songer à dormir. Avait-on calculé cette insomnie comme un surcroît de tourment, infligé par la méthode allemande à une population qui, depuis vingt-quatre heures, endurait de mortelles alarmes ? Toujours est-il qu’en pleine nuit, sans avertissement préalable, la ville tout entière, en proie au plus terrible cauchemar, fut secouée jusqu’en ses profondeurs par une brusque détonation, suivie d’un effroyable roulement de tonnerre. On entendit aussitôt un fracas de pierres écroulées. Et maintenant, le vieux château de Ham, la tour du connétable de Saint-Pol, ces murs à créneaux et à mâchicoulis, dont l’ensemble formait un pittoresque monument de l’architecture du XVe siècle et fut respecté même par les démolisseurs et les incendiaires aux gages de Charles-Quint, ne sont plus qu’un éboulis de décombres, comme le donjon de Coucy [1].

Le dernier chef de la Kommandantur de Ham était un général nommé Fleck. Ce Fleck s’était logé, avec son état-major, rue du Marché-Franc, dans une grande et belle maison, appartenant à Mme Bernot, veuve du regretté sénateur, président du conseil général de la Somme. Dans la semaine qui précéda la retraite de l’armée allemande, c’est-à-dire à partir du 11 mars, Fleck fit emporter par des camions militaires automobiles une cargaison de meubles, notamment un coffre-fort.

— Dès que les camions étaient chargés, dit un témoin, ils filaient dans la direction de la gare.

Le moment vint où Fleck lui-même « fila » dans une auto

  1. Voyez dans la Revue du 1er mai 1917, l’article de M. Germain Lefèvre-Pontalis : Un crime allemand, la destruction de Coucy.