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ils sciaient tous les arbres fruitiers dans les jardins et mutilaient tout le matériel agricole. C’était bien la « guerre aux civils, » annoncée aux religieuses de Noyon par le docteur allemand Beneke.

Pendant la nuit du 17 mars, à 3 h. 45, les habitans de Roye, — ou du moins ceux que les déportations successives avaient encore laissés au logis, — furent réveillés en sursaut par une détonation formidable. Une explosion de mines faisait sauter l’hôtel de ville. Sous quel aspect nous apparaît aujourd’hui ce pacifique monument de la vie municipale d’autrefois et de la commune affranchie par Philippe-Auguste ! Brèches ouvertes, crevasses béantes, écroulemens de plâtras et de gravats, enchevêtrement de poutres arrachées des mortaises, le beffroi retourné sens dessus-dessous, chaviré dans un tas de pierres et de planches, quel triomphe pour M. le professeur Paul Clemen, de Bonn, « conservateur des Beaux-Arts » en Belgique et dans les départemens de la France envahie ! Ce docte professeur, qui a compilé un énorme ouvrage sur l’Entretien des monumens en France, connaissait aussi l’église Saint-Pierre de Roye, dont la façade fut construite en style roman, au XIIe siècle, en même temps que les flèches monumentales de Vermelles et de Richebourg-l’Avoué. La nef de cette église fut achevée en style ogival, au commencement de la Renaissance française, à l’époque où s’élevèrent, sur la plaine de Picardie, dominant l’estuaire de la Somme, les tours de Saint- Vulfran d’Abbeville. Les vitraux de l’église Saint-Pierre de Roye étaient splendides. L’Allemagne savante a décidé l’anéantissement de ce magnifique décor architectural. Une première fois, le 15 décembre 1914, les Allemands ont fait sauter avec des explosifs le clocher et la toiture de cette église, classée au nombre de nos monumens historiques. Dans la suite, le 17 mars 1917, à la veille de leur retraite, ils ont terminé la destruction de l’édifice, en faisant encore sauter une plate-forme, haute d’environ trente-cinq mètres, qui avait été épargnée jusque-là, et qui leur servait d’observatoire. La nef de l’église n’est plus qu’une débâcle de pierres écroulées, de charpentes écartelées, et les fenêtres délicatement ciselées où brillait la féerie multicolore des vitraux s’ouvrent béantes, ébréchées, sur le vide...

Les Allemands procédèrent, selon leur méthode, à la déportation d’un grand nombre d’habitans de Roye. Un convoi de