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âme vivante dans ce village anéanti. Margny-aux-Cerises n’est plus habité que par des morts.

Les morts eux-mêmes ont subi, en maint endroit de la Picardie dévastée, l’injure des Barbares. L’officier qui a bien voulu m’accompagner et me renseigner dans cette enquête douloureuse me mène au cimetière de Champien, commune située à vingt-quatre kilomètres de Montdidier, dans le canton de Roye. Champien était une riche bourgade... Quelle vision ! Le presbytère, attenant au champ des morts, est écroulé, jonchant de gravats le modeste mobilier et le petit jardin du curé. Un cyprès géant, scié à sa base, est étendu tout de son long, parmi des sépultures dont les pierres tombales ont été soulevées. Je vois un cercueil brisé... Au bout de ce cimetière, on avait installé un banc pour prendre le frais !


Roye.

La route de Roye est complètement rasée. A la place des beaux arbres qui ombrageaient cette chaussée ancienne où passa le grand Condé, allant vaincre les Impériaux à Lens, on ne voit plus, hélas ! qu’une double rangée de tronçons, qui sortent de terre, pareils à des moignons. Les rails du chemin de fer économique qui longeait la route ont été enlevés...

La destruction des chemins de fer en pays envahi, au cours d’une avance ou d’une retraite, est un acte de guerre. Mais quelle utilité militaire pouvait présenter l’emploi systématique des pompes à pétrole et des grenades incendiaires qui ont dévasté les monumens publics et les édifices particuliers de la ville de Roye ? Un honorable témoin, M. Leblan, greffier de la justice de paix, a constaté, pendant le premier hiver de l’occupation allemande, quatre-vingt-quinze incendies, parmi lesquels celui de l’hospice. La sucrerie Mandron, rue de Paris, et celle de M. Labruyère, au faubourg Saint-Gilles, ont été brûlées. Quatre cents maisons, ou peu s’en faut, ont reçu la visite des pillards bavarois qui ont tout déménagé, arrachant même les boiseries attenantes aux murailles. A Roye, les Allemands ont organisé la destruction progressive de toutes les industries et de tous les métiers par le sabotage scientifique de tous les instrumens de travail. Avant de partir, ils ont pris soin de rendre inutilisables les fours des boulangeries ; ils ont coupé les conduites d’eau qui alimentaient les habitans. En même temps,