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dépeuplé, me raconte, lui aussi, des scènes d’enlèvemens et de déportations...

Je constate qu’avant de partir, ils ont fait sauter à l’aide de leurs engins explosifs l’église de Grisolles.

— Ils n’avaient pas l’air très fiers de cette besogne, me dit une bonne femme, devant le cadran de l’horloge paroissiale, précipité à terre par l’explosion.

Elle ajoute :

— Nous leur disions : Ça n’est tout de même pas ça qui va vous faire aller à Paris...

Parmi ceux qui, dans les premiers temps de la campagne, se montraient particulièrement assurés d’aller à Paris et pressés d’y faire la fête, figurait un personnage du plus haut rang, qui avait élu domicile au château d’Avricourt. Le joli village d’Avricourt, situé près des sources de l’Avre picarde, est le chef-lieu d’une des vingt-deux communes du canton de Lassigny. Les habitans de cette commune rurale, au nombre de deux cent cinquante environ, cultivaient paisiblement une superficie de sept cents hectares, autour d’un élégant château, qui n’existe plus. Ils sont persuadés que l’hôte indésirable de ce château n’était autre que le prince Eitel-Friedrich, fils puîné du kaiser. Son existence, en tout cas, semblait fort précieuse, et son inquiétude était extrême, car on remarque, dans tous les logis que Son Altesse encombra de sa personne et de sa suite, un luxe inouï de précautions contre les avions. On m’a montré, dans le parc du château d’Avricourt. une des issues du souterrain aménagé à son intention. C’est un solide travail en maçonnerie et en ciment. Le prince pouvait sortir de ce trou par un escalier de pierre, accédant à un terre-plein orné de deux vases que dessina, en style simili-corinthien ou pseudo-étrusque, un archéologue de l’état-major prussien. Cette issue aboutissait, par une cave, à la salle à manger et à la chambre à coucher du prince.

Avant de monter dans l’auto qui devait le mener à une nouvelle étape sur le chemin de la retraite, ce prince allemand résolut de signaler sa présence dans ces parages, à la mode de son pays et de sa race. Le château d’Avricourt fut anéanti par les soins d’une équipe de dynamiteurs et d’incendiaires. On chercherait vainement le dessin de son architecture et le style de sa délicate ornementation dans ces débris informes qui