Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 40.djvu/421

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

me montre ce qui reste des habitations rurales, dans ce pays naguère florissant et prospère, où les Allemands ont passé. Là, ce petit tas de décombres pulvérisés était une métairie peuplée de travailleurs, riche en récoltes et en troupeaux. Plus loin, sur l’emplacement d’un moulin à vent ou d’une minoterie mécanique, il n’y a plus rien qu’une traînée de poussière et de cendre. L’anéantissement de tout ce qui peut servir à la vie agricole en ce pays d’agriculture faisait partie du plan tactique et stratégique conçu par Hindenburg.


Grisolles, Avricourt, Le Frétoy, Fréniches.

Voici des charrues, des herses, des moissonneuses-lieuses, et même de simples charrettes rustiques, réunies, par ordre upérieur, dans un terrain vague, comme en un camp de concentration. Chacun de ces instrumens de travail a subi sur place, comme un être vivant, la mutilation prescrite et prévue par l’Etat-major allemand : l’amputation d’un brancard, l’enlèvement d’une paire de ridelles, le bris du moyeu et des rais d’une roue à coups de mailloche, cela suffit pour réduire le laboureur à l’impuissance d’atteler son cheval ou ses bœufs, de charger une gerbe, de tracer un sillon. C’est ce qu’on a voulu obtenir, par les soins d’une équipe spécialement enrôlée pour cet office.

La destruction technique des établissemens industriels dans ce pays d’industrie était indiquée aussi par les directives des chefs militaires stylés par les économistes d’outre-Rhin. Il faut voir en quel état ils ont mis, par exemple, la sucrerie de Grisolles. Un régiment d’infanterie française cantonne à présent dans la carcasse de cette usine. Nos petits « bleuets, «  au repos entre deux batailles, peuvent regarder à loisir ce que nous voyons en passant : ces machines, détraquées savamment par des ingénieurs ; ces chaudières, défoncées avec art par des métallurgistes ; tout cet outillage d’honnête labeur, réduit à néant, et les livres de comptes, les registres, la correspondance, tous les papiers qui étaient les titres de noblesse d’une maison honorable et prospère, déchirés, jetés pêle-mêle avec des monceaux d’immondices.

— Où sont les gens du pays ? demandai-je à un vieillard qui venait chercher sa pitance quotidienne dans la gamelle charitable de nos soldats.

Et cet homme, qui est un des rares habitans du village