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Mont-Renaud.

Ce château, situé sur une hauteur, dans un paysage harmonieux et doux, parmi les vieilles pierres d’une ancienne chartreuse, appartient au marquis d’Escayrac-Lauture. Un général allemand s’y installa pendant plusieurs mois avec son état-major. Aussi n’y trouve-t-on plus aucun meuble. Tout a été déménagé. Les portes elles-mêmes ont été arrachées de leurs gonds. Le peu de mobilier qui reste a été mis en morceaux. Voici un billard crevé, un prie-Dieu jeté dans un salon désert, quelques livres épars, déchirés, parmi lesquels je remarque les ouvrages scientifiques d’un des ancêtres du maître de la maison, un traité sur le télégraphe, avec cette devise généreuse : Aperire terram gentibus. Les portraits de famille ont été décrochés, emportés ; les tapisseries déclouées, enlevées.

De ce château, naguère plein de souvenirs vénérables et de reliques charmantes, il ne reste plus que des salles vides, entre quatre murs couverts d’inscriptions où s’exalte l’orgueil barbare de l’Allemagne, « au-dessus de tout. » « 

Dans le parc de Mont-Renaud, l’état-major du général allemand installé au château découvrit une crypte funéraire où reposaient des morts qui semblaient à l’abri de toute profanation. L’entrée de ce cimetière souterrain était malaisée à trouver, ignorée même des habitans du village voisin. Les profanateurs ont pénétré dans cet hypogée. Et là, éclairés sans doute par la lumière électrique des lampes perfectionnées qui font partie de leur outillage de guerre, ils ont attaqué à coups de hache et de pic le bois et le plomb des cercueils. Ayons le courage de regarder de près les effets de cette besogne macabre. On voudrait pouvoir douter d’une telle infamie, si profondément inhumaine. Mais il faut se rendre à l’évidence, lorsqu’on a vu, par l’ouverture béante des planches de sapin et des lames de plomb, les ossemens des morts qui furent confiés au mystère de ces catacombes, et qui devaient y dormir en paix leur dernier sommeil. Jamais la malfaisance de cette Allemagne qu’on nous avait peinte sous des traits mensongers ne m’a paru plus hideuse que dans l’horreur de ce caveau profané…

Du seuil de ce château saccagé, une jeune fille restée seule, admirablement vaillante au milieu des ruines de son bonheur,