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doucement, vaillamment autour des lits, allant, de chevet en chevet, porter à des vieillards, à des enfans, à des femmes la parole qui réconforte ou le remède qui guérit.

C’est l’heure de la visite du docteur. Le médecin-major, chef de service, et la supérieure ont fort à faire. Car, à Noyon, les derniers jours de l’occupation allemande ont été marqués par les indicibles souffrances de plusieurs centaines de malades, arrachés de leurs lits dans les villages de la Somme, autour de Saint-Quentin, amenés en un long cortège de douleurs, sous la pluie ou dans la neige, et concentrés à l’hôpital civil. Je m’excuse de me présenter au moment où les survivans de cette multitude dolente ont besoin de la présence de la sœur Saint-Romuald. J’ai voulu simplement m’incliner devant une haute et bienfaisante vertu, d’autant plus digne d’admiration qu’elle semble s’ignorer elle-même. De ce bref entretien dans un petit parloir au parquet bien ciré, je garde le souvenir d’un visage où se reflètent, sous la cornette blanche, les clartés de cette lumière intérieure qui donne à certaines âmes une puissance surhumaine. La supérieure de l’hospice de Noyon ne consent à se souvenir des misères toutes récentes et des plaies encore vives, que pour faire l’éloge de ses dévouées compagnes. Mais je connais, par d’autres, l’exemple qu’elle a donné à tous, en ces heures effroyables. Il fallait s’occuper à la fois des vivans et des morts. Il y avait là des agonisans, des paralytiques, des nonagénaires, et même une pauvre vieille de cent deux ans que les Allemands n’ont pas laissée mourir dans son village. Dix-sept vieillards de Roisel sont morts en arrivant à Noyon, épuisés par les privations et transis de froid. On enterra des morts dont on ne savait même pas le nom [1].

Que dire de cet officier allemand qui accepta de se rendre au domicile d’une dame de Gibercourt, atteinte d’une maladie de cœur au dernier degré ? Par ordre supérieur, cette malade, alitée depuis plusieurs années, fut obligée de se lever. L’Allemand exigea qu’elle s’habillât en sa présence, bien qu’elle l’eut prié de s’éloigner un peu. Elle est morte à Noyon.

La sœur Saint-Romuald eut à soigner aussi une jeune mère de famille, qui faisait partie du convoi de Flavy-le-Martel, et qui souffrait d’une affection cardiaque. Cette malheureuse

  1. Journal officiel du 18 avril 1917, rapport de la Commission d’enquête.