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Sur cette pièce est apposé le cachet de la Kommandantur d’Holnon et, tout à côté, Gloss a griffonné de sa main cet ordre impératif : Afficher !

Ainsi, les habitans de cette commune française, hommes, femmes, enfans, vieillards, travaillaient depuis la première aube jusqu’aux derniers rayons du soleil couchant, sous le bâton de ce garde-chiourme. Tels ces captifs d’Asie que l’on voit peiner et souffrir, en longues files lamentables, sur les plus anciens monumens de Ninive ou de Babylone. Aussi bien, la conception archaïque et barbare de ce régime de travaux forcés et d’esclavage en masse n’est pas née uniquement dans le cerveau d’un Gloss, tyranneau d’Holnon ou d’un Josephson, préposé à la persécution méthodique des habitans de Noyon. Ces obscurs comparses ne sont que les exécuteurs d’un vaste plan élaboré sous la surveillance directe du Kaiser lui-même, à Berlin, dans ce mystérieux immeuble du Koenigsplatz où travaillent les scribes du grand état-major. L’autorité militaire française est en possession d’un document significatif, qui montre avec quel soin fut étudiée, jusqu’aux plus minutieux détails, dans les conciliabules de cet état-major et dans les conférences secrètes de la Kriegsakademie de Berlin, l’organisation des travaux forcés en pays envahis. On a tout prévu : la marque distinctive du forçat, les précautions à prendre contre les tentatives d’évasion et enfin, pour les manquemens à la discipline germanique, une gradation de châtimens, qui va de la bastonnade à la peine de mort. Les affiches relatives à ces travaux forcés étaient si bien préparées d’avance, que, dans certains villages de la frontière lorraine, elles ont fait leur apparition dès le 5 août 1914.

L’un des adjoints de Noyon, M. Jouve, très cruellement éprouvé lui-même par la guerre, a raconté la douloureuse journée du 18 février 1917. « Ce qu’il y avait de plus terrible, dit l’honorable témoin, c’est le spectacle des jeunes filles arrachées à leurs familles. Il en a été enlevé ainsi quatre-vingts. Quelques jours après, un certain nombre de jeunes filles évacuées de la Somme et de l’Aisne ont encore été séparées de leurs parens... Ces mesures abominables ont jeté la consternation parmi nous [1]... »

  1. Témoignage recueilli, sous serment, par la commission d’enquête instituée par décret du 23 septembre 1914. Le président de cette commission, M. Georges Payelle, premier président de la Cour des Comptes, a bien voulu nous communiquer des procès-verbaux et d’autres documens encore inédits.