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carolingienne, capétienne où s’évoque et se résume en images de pierre le vivant tableau des plus vénérables souvenirs et des plus lointains âges de notre histoire nationale.

C’est dans la matinée du dimanche 30 août 1914 que les Allemands arrivèrent, encombrant de leurs autos blindées et de leurs cuisines roulantes la « rue de Paris, » qui est la plus belle rue de Noyon. Cette rue, aujourd’hui égayée par un va-et-vient d’uniformes bleu horizon, conduit à la place de l’Hôtel-de-Ville. C’est une de ces places comme on en voit dans les estampes d’autrefois. Elle n’est pas très grande, s’étant adaptée aux coutumes des temps anciens où la vie communale était, en quelque sorte, une vie de famille. Mais elle est le centre où aboutissent toutes les rues de la cité. La façade de cette vieille maison de ville a été décorée jadis de fenestrages fleuronnés et d’impostes à guirlandes par des artistes précurseurs de la Renaissance française. Que de mélancolie toutefois dans la grisaille de ces murs, confidens des drames passés et des douleurs récentes ! Il n’y a pas longtemps que le bleu horizon du soldat territorial, en faction devant la porte de cet hôtel de ville, a remplacé le feldgrau du factionnaire allemand. Sur une bâtisse voisine, on lit encore ces mots : Orts-Kommandantur. C’est là qu’une bureaucratie impitoyable organisait la persécution méthodique des gens du pays, préparait froidement, par ordre supérieur, la dislocation des familles, la désolation des foyers, les déportations en masse, les enlèvemens de femmes et de jeunes filles. Devant les étroites fenêtres de ces bureaux maintenant vides, je songe à tous les yeux inquiets dont le regard s’est voilé de larmes en voyant briller la lampe nocturne qui éclairait d’une lueur sinistre ce travail allemand.

Les historiens de l’avenir retraceront le tableau de cette arrivée furieuse des Allemands à Noyon, venant de Ham et de Guiscard, ayant parcouru à grandes enjambées la route presque droite qui va de la Somme à l’Oise. Ils marchaient sur Paris, éternel objet des convoitises tudesques. Tout un quartier de Péronne était déjà en cendres. Les cantons de Rosières, de Chaulnes, de Lassigny étaient pillés, rançonnés, ensanglantés. Chemin faisant, les envahisseurs prenaient un avant-goût des joies que leur réservait apparemment la prise de Paris. Les habitans de Pont-Noyelles ont vu les officiers d’un brillant état-major rouler ivres-morts sous des tables chargées de victuailles et se