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cris d’épouvante : « C’est encore un sacrifice qu’il faut faire que cette absence de quelques mois ; il faut espérer que jamais je ne me trouverai exposée à d’autres plus cruelles, »

Le temps passait sans diminuer cette affection réciproque. Mme de Belle-Isle accordait tous les ans un souvenir romanesque à la date du 22 juillet qui était celle de leur premier entretien sérieux à Francfort. Dans un de ses rares billets datés (il est du 13 octobre 1746) elle écrit : « Les instans que nous pouvons passer ensemble me deviennent chaque jour plus chers parce que j’apprends à vous mieux connaître. »

M. de Belle-Isle et Bernstorff s’aimaient comme père et fils. Le maréchal et son frère, le chevalier de Belle-Isle, furent chargés d’une mission diplomatique à Berlin ; ils entrèrent imprudemment dans le Hanovre, furent arrêtés par des troupes hanovriennes et envoyés à Londres comme prisonniers de guerre. Par l’intermédiaire de son frère, haut fonctionnaire hanovrien, Bernstorff put leur procurer des adoucissemens dans leur captivité qui dura une année, de l’automne de 1746 à celui de 1747. Pendant tout ce temps, Mme de Belle-Isle fut en proie à une inquiétude affreuse qui se renouvela lorsque son mari fut envoyé se battre en Provence. Heureusement, Bernstorff était là pour la distraire de ses soucis.

Dans les instans où ils se sentaient graves, ils causaient religion. La maréchale était d’une dévotion réelle. Elle montrait même une tendance au mysticisme assez fréquente chez les femmes de la maison de Béthune. Une sœur du marquis de Béthune, ambassadeur en Pologne, Anne-Berthe de Béthune-Selles, abbesse de Beaumon-les-Tours, mérita d’être surnommée la Lydwine de Touraine, étant d’une religiosité non moins ardente que celle de la sainte de Schiedam. Mme de Belle-Isle souhaitait de convertir au catholicisme le protestant Bernstorff. L’aimable femme se désolait à l’idée que la différence de foi religieuse les séparerait pour l’éternité.

« A mesure, lui écrivait-elle, que mon attachement augmente, que mon estime se fortifie, que mon respect pour votre caractère et la beauté de votre âme me paraît mieux fondé, mes vœux deviennent plus vifs pour que vous acquériez la seule chose qui vous manque et qui est tout. Si j’avais assez de foi, assez d’amour de Dieu, je désirerais uniquement pour sa gloire qu’une si belle âme fût à lui, mais j’avoue que je suis assez