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de serviteurs dont un ou deux polonais qui vécurent chez lui en parasites désœuvrés. Il eut une tenue de maison parfaite en tous points, mais son véritable chez-soi fut au quai d’Orsay. Il était de toutes les réceptions, grandes ou petites, qui avaient lieu chez le maréchal, il accompagnait Madame dans ses promenades, en carrosse et à cheval, se chargeait de ses menues emplettes, parfums, pommades, savons de toilette, et lui servait de secrétaire. Ne pouvant passer ensemble la journée entière, ils échangeaient quotidiennement, dans le courant de l’après-midi, des billets, parfois chiffrés. Des courriers allaient constamment de l’un à l’autre.

Ces billets devinrent si nombreux que Mme de Belle-Isle conseilla au baron d’en jeter une bonne partie au feu : « Cela serait raisonnable, car à l’âge que nous avons, si nous vivons longtemps, il faudrait bâtir une maison pour nos lettres. »

Mais Bernstorff ne les brûla pas. Au château de Wotersen, dans le Lauenbourg, propriété de sa famille, on a retrouvé des centaines de lettres et billets de la maréchale, dont fort peu sont datés. Il en est d’une puérilité qui fait sourire. Beaucoup ont pour objet l’état de santé du cher frère et de son incomparable reine ; les « vapeurs » de l’une, les douleurs rhumatismales de l’autre, ainsi que les caprices de leur estomac. L’effet produit par des remèdes destinés à « humecter, amollir et rafraîchir les entrailles » est noté avec minutie. « Vous ne sauriez trop vous ménager, écrit la maréchale. Dormez et mangez des choses saines. » Les yeux délicats de Bernstorff sont un gros sujet d’alarmes : « Il y a toujours une chose qui m’effraie, c’est le temps énorme de vos écritures. N’écrivez point la nuit. Je suis bien malheureuse de ne connaître personne en Dannemarc, car je vous ferais donner l’ordre par le Roi votre maître de prendre un secrétaire. »

La maréchale est-elle souffrante, elle envoie à Bernstorff plusieurs bulletins de santé dans la même journée. Souffre-t-il d’une indisposition, elle a recours à une saignée pour calmer l’agitation où la jette cette mauvaise nouvelle. D’autres fois, l’on s’écrit pour dire que tout va bien : « J’ai bien dormi, mon cher frère, je suis fort aise que vous soyez content de votre nuit ; votre sœur vous aime de tout son cœur. »

Lorsque le ministre de Danemark dut accompagner le Roi dans les Pays-Bas, sur le théâtre de la guerre, l’amie poussa des