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savoir, vous en feriez votre profit. Vous connaissant comme je le fais, est-ce votre caractère, votre façon de parler ? Cela vous ressemble-t-il ? Je répondis que comme particulier vous étiez fort attaché à la France, que comme ministre ce n’était pas à moi à entrer dans vos vues ; que j’avais beaucoup vécu avec vous, que vous m’aviez donné toutes sortes de marques d’amitié ; que je vous avais trouvé toutes les qualités de l’âme, de l’esprit et du cœur les plus respectables, les plus estimables et en même temps les plus aimables ; que je vous étais tendrement attachée ; que moi, misérable femme, je n’étais pas assez au fait des affaires pour vous en instruire quand je le voudrais ; que nos lettres roulaient sur ce qui nous regardait et nous touchait personnellement, parce que j’avais grande confiance en vous, et qu’ainsi il n’y avait rien à changer dans ma conduite... Vous savez comme je suis, lorsque je suis convaincue que j’ai raison, et que c’est surtout mon cœur qui me le dicte ; rien n’est capable de m’ébranler et communément même l’on n’y essaie pas [1]. »

Il est bien fâcheux que les papiers de Mme de Belle-Isle aient été détruits sous la Révolution, car nous ne pouvons connaître une seule des réponses de Bernstorff à son amie, réponses qui devaient être fort tendres. Quand la maréchale sut que le baron était nommé ministre à Paris, sa joie fut grande. Pendant des mois elle caressa le projet d’aller en voiture au-devant de son « cher petit baron » lorsqu’il arriverait à Paris. Elle lui écrivit, en s’intitulant son « premier chambellan, » pour demander, comme une preuve de confiance, qu’il voulût bien la charger de faire choix d’un hôtel et de le meubler.


La retraite de Prague avait rendu populaire le nom du maréchal de Belle-Isle. On le chansonnait dans des vaudevilles. Le peuple de Paris affichait des vers sur la porte de son hôtel :


Quand Belle-Isle sortit
De Prague la nuit,
A petit bruit,

  1. Ces lettres de Mme de Belle-Isle au baron Bernstorff ont été publiées à Copenhague, ainsi que les autres lettres et billets cités dans cet article, par le distingué historien danois A. Friis, dans son intéressant ouvrage sur les Bernstorff.