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lui prouva en lui faisant cadeau d’un muid de vin. Le Collège des Princes de l’Empire sollicita plusieurs fois son avis. Son succès ne fut pas moindre dans les fêtes mondaines. Il se livrait à des dépenses de représentation bien supérieures aux appointemens que lui allouait l’Etat danois. Il était de tournure élégante, s’habillait avec goût et avait le ton et les manières du parfait courtisan. Entre l’exquise Mme de Belle-Isle et lui, une sympathie très vive naquit rapidement. Dans une ville où la femme du représentant de la France réglait la vie mondaine et en était le centre, ils se rencontrèrent tous les jours : au bal, à souper, à la Comédie où des acteurs de Paris se faisaient applaudir. On les voyait toujours ensemble. Il faut que la conversation du baron ait été très attachante pour que Mme de Belle-Isle y ait pris tant de plaisir. Lui, de son côté, appréciait fort l’agrément d’un délicat esprit féminin. Ils eurent de longs entretiens dans le boudoir de la maréchale où celle-ci travaillait à une broderie.

Ces relations nouées à Francfort préludaient à la future intimité sentimentale. Déjà le baron et Mme de Belle-Isle échangeaient des appellations très affectueuses : « Chère et inoubliable reine », « cher frère. » Mais ils durent se séparer au printemps de 1742. Elle retournait à Paris, lui restait à Francfort. Ils prirent congé l’un de l’autre avec tristesse, en se promettant de s’écrire fréquemment : ils ne savaient s’ils se reverraient jamais.

L’année suivante, Bernstorff accompagna l’Empereur Charles VII dans sa retraite précipitée sur Augsbourg. Les voitures impériales, fuyant l’armée de Marie-Thérèse, avançaient difficilement sur des routes encombrées de neige. Après ce pénible voyage qui altéra la santé du baron, le gouvernement danois le récompensa de son zèle en le nommant ministre à Paris.


L’amitié amoureuse était alors de mode en France. M. de Belle-Isle, entre autres, avait eu deux intrigues restées platoniques, la première avec Adrienne Lecouvreur. C’était en 1726. Il était marié à Henriette-Françoise de Durfort de Civrac dont il n’eut point d’enfans et qui le laissa veuf après