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Mme de Belle-Isle secondait à merveille son mari. Sa naissance illustre l’approchait de deux trônes. Petite-nièce de la reine de Pologne Marie-Cazimire et de Jean Sobieski, elle était cousine du prétendant Jacques Stuart, marié à une Sobieska, ainsi que de l’électeur de Bavière élu empereur à Francfort, grâce à l’appui de la France, sous le nom de Charles VII. Par sa mère Thérèse Sobieska, ce prince était petit-fils du vainqueur des Turcs.

Un écrivain français qui fut contemporain du ménage de Belle-Isle atteste que la maréchale était « une femme respectable, d’une piété austère et d’un esprit profond, qui négocia elle-même, pendant des absences de son mari, des objets très importans à la Diète de Francfort [1]. » Le plus souvent elle était seule à faire les honneurs du palais de l’ambassade, car M. de Belle-Isle, absorbé par son travail, assistait rarement aux réceptions du soir. Elle accueillait les invités avec une aisance, un tact admirables. « Avant le souper, raconte Terkel Kleve, Madame se divertit au jeu dans le petit salon. Elle n’est pas grande, mais n’en est que plus charmante ; avec cela douce et sans affectation. Ses manières gracieuses la font adorer. »

Sa qualité d’envoyé d’un souverain du Nord ouvrit au baron Bernstorff tous les salons, y compris celui des Belle-Isle. La recommandation de quelques grands seigneurs polonais, les Czartorisky, les Poniatowski, le mit tout de suite sur un pied d’intimité dans la maison du maréchal. Ses rapports avec ce dernier furent empreints de cordialité. Il découvrit chez son hôte « une réunion de qualités dont une seule eût suffi à rendre célèbre une personnalité. » Son admiration s’accrut lorsque Belle-Isle eut fait venir de France en Bavière, en moins de trois semaines, une armée de 90 000 hommes. Ce grand chef avait tout prévu. « Je l’ai vu, écrivait Bernstorff au ministre des Affaires étrangères de Danemark, quitter son cabinet après onze heures de travail ininterrompu, ayant le cerveau net et l’entrain d’un homme qui aurait fourni un court labeur intellectuel.)’Bref, le baron tenait le maréchal pour un génie militaire et politique de la plus haute valeur.

A Francfort, J.-H. Bernstorff fut entouré d’une grande considération. Le Conseil voyait en lui un diplomate éminent et le

  1. De Chevrier : Vie du maréchal de Belle-Isle.